Le chef syndical Bernard « Rambo » Gauthier affirme avoir reçu, cet automne, la visite d'une personne liée au crime organisé qui le croyait mêlé à la vente de drogue sur les chantiers de construction de la Côte-Nord.

« Il s'est présenté à mon domicile un dimanche soir. Il est venu me dire : tu fais une belle job avec les syndicats, mais tu sais que la drogue là-bas, il y a des façons de faire et des règles à suivre », a raconté l'homme fort de la FTQ-Construction, qui témoignait pour une deuxième journée aujourd'hui à la commission Charbonneau.

Bernard Gauthier affirme avoir été surpris par cette visite. « Je lui ai répondu : «de quoi tu me parles toué ?» Et il a dit «Tu sais pas de quoi je te parle ? « J'ai dit non », a-t-il relaté.

Bernard Gauthier dit qu'il connaissait bien son visiteur, mais il n'a pas révélé son identité, ni celle de son groupe criminel. Il croit qu'il s'agissait d'un messager. « Il est venu pour m'avertir que si je ne respecte pas les fameuses règles, il va m'arriver de quoi. »

Gauthier a laissé son numéro de cellulaire à l'émissaire afin que la personne qui l'envoyait le contacte. Il n'a jamais reçu d'appel.

Selon Bernard Gauthier, cette méprise est la faute des médias. « On s'entend que depuis une couple d'année, les médias se sont fait un petit party avec ça : que j'étais supposément dans le crime organisé et que je passais de la drogue », s'est-il plaint. « Ça été tellement médiatisé, que j'ai reçu la visite du crime organisé! »

La commission a posé très peu de questions sur cette affaire, dont plusieurs pans sont demeurés nébuleux.

Délégués syndicaux et vendeurs de drogue ?

L'ancien président de la FTQ, Michel Arsenault et son conseiller politique Gilles Audette ont aussi déjà eu une conversation étonnante, enregistrée à leur insu, sur la drogue sur les chantiers de construction au Québec.

Dans un bref extrait d'écoute électronique diffusé cet après-midi à la commission Charbonneau, Gilles Audette affirme que la distribution de drogue passe par les délégués syndicaux.

« Je ne suis pas un enfant d'école. Je le sais ce qu'il se passe sur les chantiers. Tsé Michel, la distribution de la dope, crisse, de la cocaïne, ça passe par les délégués », dit-il à Arsenault, qui répond par un simple « hum ».

« Ça c'est clair ça, ciboire. C'est leur réseau ça », renchéri Audette. « Dans les usines, y'ont pas besoin de passer par leurs syndicats. C'est de la main d'oeuvre permanente. Écoute ben, y'en ont des réseaux de distribution de dope, de hash pis de coke. Et ça arrive des fois que c'est même les officiers du syndicat qui sont à la tête de ça. Mais ça ne passe jamais par la structure syndicale, le national, parce qu'ils n'ont pas besoin. Suffit qu'ils trouvent quelqu'un qui travaille là et le gars est dans l'usine pour des années. Sur un chantier de construction là, c'est temporaire. »

Questionné après la diffusion de cette écoute, Bernard Gauthier affirme qu'il n'a jamais été témoin de l'implication de syndicalistes dans la vente de drogue. «  On sait qu'il y a de la drogue sur les chantiers, mais ça n'a pas rapport avec les délégués. Ça n'a aucun rapport », a-t-il dit.

La FTQ-Construction n'a jamais sanctionné Rambo

Bernard « Rambo » Gauthier, dont les méthodes musclées sont sous les projecteurs de la commission Charbonneau depuis trois semaines, affirme qu'il n'a jamais été sanctionné par la FTQ-Construction. Le fait que les adhésions à son syndicat aient augmenté de manière significative sous son règne n'y est peut-être pas étranger, a-t-il sous-entendu.

Bernard Gauthier représente la section locale 791 des opérateurs de machinerie lourde sur la Côte-Nord. Gauthier était à la tête de « comités de chômeurs ». Ces groupes de travailleurs, qui n'étaient pas nécessairement tous membres du local 791 ou même de la FTQ-Construction, débarquaient sur les chantiers et déclenchaient des arrêts de travail illégaux pour protester contre l'embauche d'ouvriers de l'extérieur de la région ou les décisions d'un employeur.

Gauthier soutient qu'il agissait sans nécessairement avertir le directeur général du local 791 pour l'ensemble du Québec, Bernard Girard. « C'est mon boss sur papier, mais mon vrai boss, c'est les travailleurs », a-t-il déclaré.

En entrevue avec La Presse vendredi, un porte-parole de la FTQ-Construction a précisé que la FTQ-Construction n'avait pas le pouvoir d'intervenir dans les affaires d'une section locale. L'ancien président de la FTQ, Michel Arsenault, a témoigné de la même chose au sujet de l'ascendant de la centrale syndicale sur la FTQ-Construction.

Rambo défend ses méthodes

Les fameuses « clauses Rambo », ces demandes hors convention collectives exigées par Bernard Gauthier, servaient à créer de l'emploi dans la région, s'est aussi défendu le chef syndical.

Les contrats de travail dans l'industrie de la construction prévoient que les ouvriers peuvent être affectés à d'autres tâches sur un chantier lorsqu'il n'y en a plus dans leur propre corps de métier. Or, Bernard Gauthier, qui représente les opérateurs de machinerie lourde affiliés à la FTQ-Construction dans la région de la Côte-Nord, s'y oppose farouchement. Il estime que cette façon de faire réduit le nombre d'emplois.

«C'est permis par la convention collective, mais pas par vous», a demandé le commissaire Renaud Lachance. «Pas par ma région », a-t-il répondu du tac au tac.

Bernard Gauthier ne tolère pas non plus que des « casques blancs » (des surintendants ou des contremaîtres) effectuent des tâches de syndiqués, et ce, même lorsqu'ils veulent donner un coup de main à leurs collègues.

«Vous ne pensez pas que le syndicalisme à outrance finit par vous nuire», a demandé la juge France Charbonneau au témoin. « Vous appelez ça du syndicalisme à outrance? On trouve des jobs et on crée de l'emploi », a-t-il répliqué. «On n'impose pas de main d'oeuvre dont on n'a pas besoin.»

Selon Bernard Gauthier, le Québec a un « choix de société à faire ». « On nous dit que ça coûte de l'argent, mais c'est parce que les gens renoncent à leurs pensions, à leur temps double. Il y a tellement de travail au noir qui se fait, on devrait regarder ça », a-t-il déploré.

Bernard Gauthier a par ailleurs affirmé que Hydro-Québec avait favorisé l'embauche locale, car elle craignait des arrêts de travail et des manifestations.

Le témoin sera contre-interrogé demain matin par une seule personne, l'avocat de la FTQ-Construction.