La scène est digne d'une séance d'intimidation à la petite école. Tous les matins et tous les soirs, dans l'autobus, des travailleurs d'un chantier sur la Côte-Nord invectivaient un collègue uniquement parce que «c'était un Bleuet».

«À la sortie de la cafétéria, il s'est fait dire par une trentaine de travailleurs qu'il était chanceux de respirer», a rapporté cet après-midi devant la Commission Charbonneau Pierre Laprise, de l'entreprise Fernand Gilbert Ltée (FGL), qui avait embauché le travailleur en 2009.

«Il n'était pas le bienvenu, ça c'est sûr. Il a travaillé deux semaines, ç'a été très difficile pour lui. Puis, il nous a remis sa démission, il ne voulait plus travailler, il pleurait. Même lorsqu'on lui a offert de le transporter en camionnette, il a dit non, c'est fini.»

Le travailleur en question faisait pourtant partie du même syndicat que les ouvriers qui l'intimidaient, le local 791 des opérateurs de machinerie lourde, affilié à la FTQ-Construction.

Cette histoire est la dernière en lice d'une longue lignée présentée à la commission Charbonneau depuis trois semaines, dépeignant le climat de terreur qui régnait sur les chantiers de construction de la Côte-Nord.

La table est donc mise pour le passage du célèbre Bernard «Rambo» Gauthier, le représentant syndical du local 791 sur la Côte-Nord, connu pour avoir fait la pluie et le beau temps sur les chantiers afin de favoriser l'embauche de travailleurs locaux. Ce dernier sera appelé à la barre mardi dès la fin du témoignage de Pierre Laprise.

Zèle syndical

Pierre Laprise a éprouvé des problèmes avec Bernard Gauthier dès la première pelletée de terre du chantier routier de la Romaine, au printemps 2009.

Dans les premiers jours des travaux, il affirme qu'un surintendant qui a voulu aider un travailleur en manipulant un équipement s'est fait photographier par un ouvrier. Le lendemain, 30 personnes se sont présentées sur le chantier pour l'intimider. «Je travaille dans le milieu de la construction depuis 40 ans et je n'ai jamais vu quelqu'un me reprocher qu'un surintendant donne un coup de main», a témoigné Laprise.

Quatre jours plus tard, un surintendant aide un autre travailleur qui avait du mal à attacher une chaîne. Il est encore une fois photographié par un membre du local 791.

C'en est trop pour Bernard Gauthier, qui téléphone à Laprise pour l'injurier. «Il n'était pas content le monsieur. Il me rappelait que sur la Côte-Nord, les chapeaux blancs n'ont pas le droit de toucher à rien. Il m'a dit: "Vous n'avez pas compris ce que je vous ai dit. Ce n'est pas comme cela que ça se passe sur la Côte-Nord. Alors vous allez l'apprendre!"»

Selon Laprise, Hydro-Québec favorisait l'embauche de la main-d'oeuvre locale dans ses appel d'offres, «mais il n'y a pas de pourcentage de précisé», a spécifié Laprise.

Hydro-Québec a acheté la paix pour que ses chantiers avancent, a demandé la procureure de la Commission Me Sonia LeBel. «Oui», a dit M. Laprise.

Hydro-Québec craignait Rambo

Plus tôt ce matin, un enquêteur de la Commission de la construction du Québec (CCQ) est allé plus loin. À son avis, Hydro-Québec craignait le chef syndical Bernard «Rambo» Gauthier. Un responsable des relations de travail de la société d'État a même déjà pris le téléphone pour avertir le représentant syndical de la Côte-Nord qu'un travailleur originaire du Saguenay avait été embauché sur le chantier de la Romaine.

«Hydro-Québec craignait les répercussions de Bernard Gauthier, elle craignait l'envenimement des relations de travail et le retard dans l'exécution des travaux», a rapporté l'enquêteur Jean-François Sabourin, qui a terminé son témoignage cet après-midi.

Dans cette affaire, l'ouvrier en question était aussi membre du local 791, mais il venait du Saguenay. Furieux, Rambo a donc contacté l'entrepreneur: «Là tu viens de me passer un sapin. La prochaine fois, je ne serai plus là», tonnera-t-il au téléphone, menaçant de lui envoyer ses opérateurs les moins qualifiés.

«Tout contrôler». Voilà le leitmotiv du dirigeant syndical Bernard Gauthier, a conclu l'enquêteur de la CCQ, après avoir rencontré près de 100 témoins dans le cadre de son enquête sur l'intimidation sur les chantiers de la Côte-Nord. Le chef syndical aurait même déjà déclaré à l'une de ses collègues qu'il représentait toute l'industrie de la construction et même la Côte-Nord au grand complet.

Cette volonté de contrôle de la main-d'oeuvre n'était pas toujours motivée par des considérations régionales, a dit l'enquêteur Sabourin. Rambo pouvait exclure un membre du 791 au détriment d'un autre membre du 791, même s'ils étaient tous les deux résidents de la Côte-Nord. Rambo favorisait l'embauche de militants syndicaux ou de délégués de chantiers. «Ils sont priorisés pour leur ferveur syndicale», a témoigné Jean-François Sabourin. 

Arrêts de travail illégaux

La commission est aussi revenue ce matin sur deux arrêts de travail illégaux déclenchés à l'initiative de Bernard Gauthier.

Le premier, en novembre 2009, survient sur le chantier du Lac Bloom sur le projet hydro-électrique de la Romaine. L'entreprise Fernand Gilbert Ltée avait congédié un opérateur de pelle pour incompétence après qu'il eut brisé de la machinerie. En guise de représailles, le syndicat avait alors décidé de «sortir» Pierre Laprise du chantier. Les pertes subies en lien avec cet incident ont été évaluées à 263 000$.

Le deuxième débrayage illégal est survenu en juin 2011. Rambo plaidera coupable et écopera d'une amende de 8000$. Les pertes évaluées pour cet arrêt de travail ont été chiffrées à 300 000$.

«L'élément le plus important, c'est le contrôle, le pouvoir», a expliqué Jean-François Sabourin. «C'est un peu un cercle vicieux. Lorsqu'on contrôle tout le mouvement de la main-d'oeuvre, on envoie le message aux travailleurs que s'ils veulent travailler sur les gros chantiers, ils doivent être membre de la FTQ-Construction. Si son membership augmente, son contrôle augmente.»

(PHOTO LE SOLEIL, FANNY LVESQUE)

«Rambo Gauthier»