Même s'il a eu du mal à « digérer » que son entreprise versait des pots-de-vin au dirigeant syndical Gérard Cyr, Eugène Arsenault s'est gardé de dénoncer la fraude, jouant même au porteur de valise à une occasion.

La commission Charbonneau entend aujourd'hui Eugène Arsenault, l'un des actionnaires de Ganotec, une entreprise qui oeuvre dans le secteur pétrolier.

Hier, l'actuel PDG de Ganotec, Serge Larouche a rapporté que Gérard Cyr serait parvenu à extorquer 1,2 million $ à l'entreprise, grâce à une « entente » avec son prédécesseur Léopold Gagnon, aujourd'hui décédé.

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Serge Larouche, PDG de Ganotec

Ainsi, entre 2000 et 2006, 0,5% des revenus des contrats d'alliance de Ganotec avec Shell et Pétro-Canada ont été versés à Gérard Cyr, qui était alors gérant d'affaires du puissant local 144 des tuyauteurs, affilié au Conseil provincial des métiers de la construction (International).

Arsenault a appris l'existence de cette « entente » de la bouche de Serge Larouche en 2005. « Je ne savais plus quoi penser... Juste digérer ça, c'était pas pire», a-t-il relaté en ajoutant qu'il avait ressenti un « malaise ».

C'est à la suite du témoignage de Serge Larouche, hier à la commission, qu'il a appris la hauteur des versements. « Je ne voulais pas savoir », a-t-il affirmé. « On m'avait dit que c'était M. Léopold qui était chargé de faire ça. C'est quelqu'un pour qui j'avais énormément de respect, je ne me voyais pas aller interroger le président de la compagnie là-dessus. »

Porteur de valise

Pour permettre le versement des pots-de-vin, Ganotec a dû mettre sur pieds un système de fausse facturation. L'entrepreneur Louis-Pierre Lafortune, ex-président des Grues Guay, aujourd'hui accusé de gangstérisme et de blanchiment d'argent dans la foulée de l'opération Diligence, jouait le rôle d'entremetteur. Il empochait une commission de 10% pour ses services.

Lors de son témoignage, Arsenault a admis avoir joué les porteurs de valises à une occasion. Un proche de Lafortune, Marco Bourgouin, lui aurait déjà remis une enveloppe destinée à Serge Larouche. Arsenault croit qu'elle contenait de l'argent comptant.

Arsenault pense que les pots-de-vin ont été versés afin d'assurer la paix sur les chantiers de Ganotec. Quant à sa connaissance de l'existence des pots-de-vin : «C'est comme une prescription de médecin, tu le prends et tu ne demandes pas pourquoi ça fonctionne», a-t-il dit.

Hier, Larouche a témoigné que le versement des pots-de-vin visait aussi à remercier Cyr de son lobbying pour l'embauche de Arsenault, « un homme clé tombé du ciel » qui avait permis à Ganotec d'obtenir les contrats avec les pétrolières.

Lors de son contre-interrogatoire, ce matin, Serge Larouche a dit avoir dénoncé Lafortune en 2007 lorsqu'il a été interrogé par Revenu Québec. Mais il n'a pas « osé » révéler le nom de Gérard Cyr, visiblement par crainte de représailles et «par manque de courage».

En 2008, je regardais souvent par la fenêtre de ma maison pour voir s'il y avait des individus», a-t-il dit à la juge France Charbonneau.