Concours de circonstances probablement. André Boisclair, chef du PQ, déclare que son parti a fini de faire «copain-copain» avec les syndicats. Finis, les «soupers bien arrosés». On est en janvier 2007. En avril, le PQ encaisse la pire défaite de son histoire aux élections générales. En mai, le jeune chef qui se voyait comme une version américaine de Tony Blair est forcé de démissionner.

Boisclair était traumatisé par ses premiers jours en politique. Il était allé rejoindre son chef, Jacques Parizeau, qui dînait avec Louis Laberge, président perpétuel de la FTQ à l'époque, en présence d'une poignée de membres influents politiques et syndicaux.

Rapports privilégiés

Jean Lavallée, devant la commission Charbonneau, la semaine dernière, a illustré clairement les rapports étroits entre la FTQ et le Parti québécois. Bien sûr, les centrales syndicales ont aussi eu leurs entrées avec les gouvernements libéraux, mais la complicité n'était pas là. «J'ai été tellement d'années à m'occuper du PQ! [...] J'ai été et je suis encore péquiste [...] j'ai travaillé tellement pour cette organisation-là!», disait sans détour Lavallée cette semaine. Son épouse, Nicole Beaupré-Lavallée, a travaillé dix ans aux cabinets des premiers ministres péquistes, a-t-il rappelé.

Dès le début du PQ, les liens avec les centrales syndicales proches des groupes populaires sont évidents. En 1976, le gouvernement Lévesque arrive au pouvoir avec plusieurs syndicalistes, dont François Gendron, mais surtout Guy Chevrette.

On a souvent évoqué les parties de cartes nocturnes et bien arrosées de Louis Laberge avec René Lévesque. Une proximité un peu surfaite, un peu «folklorique», estime aujourd'hui Fernand Daoust, le bras droit de Louis Laberge.

Davantage qu'avec Laberge, la proximité de Lévesque avec la FTQ s'incarne dans son amitié avec Robert Dean, le leader des Travailleurs unis le l'auto, vice-président de la centrale jusqu'au moment où il fera le saut en politique, en 1981.

Entente avec Robert Bourassa

Laberge, issu de Canadair, est «devenu souverainiste avec le temps», inspiré notamment par Lavallée. Il a toujours maintenu des liens avec Robert Bourassa - ce dernier ne se cachait pas, en privé, pour souligner sa sympathie pour Laberge: «Il fait beaucoup pour le Québec», disait-il. Et pour le gouvernement Bourassa, lors des négociations du secteur public à la fin des années 1980, la FTQ, loin d'être le groupe le plus important du secteur public, conclura une entente avec Québec qui rétrécira d'autant le corridor pour les autres centrales.

Cela n'a pas empêché la FTQ d'envoyer ses travailleurs de la construction «encadrer» les manifestations monstres, fréquentes à la fin des années 1980. Débat linguistique, ou constitutionnel, à chaque manifestation, à chaque campagne électorale, l'organisation péquiste n'a pas à se soucier de trouver des bras pour assurer l'ordre ou pour poser les pancartes.

Une exception, toutefois: lors du référendum sur Charlottetown, en 1992, les troupes de la FTQ restent mystérieusement silencieuses. La centrale vient de construire son siège social sur le boulevard Crémazie, un gouffre financier parce que la tour tarde à se remplir. Bourassa y enverra de nombreux organismes publics en échange du silence de la centrale durant la campagne. Au cours de la commission Bélanger-Campeau sur l'avenir constitutionnel du Québec, quand l'impasse survient, Laberge arrive fréquemment avec une solution: «J'ai parlé à Robert hier soir!», tout le monde comprend. Laberge n'était plus président de la FTQ, mais avait joué des coudes pour être de cet exercice prestigieux.

Proximité avec le PQ

La FTQ a toujours entretenu des relations étroites avec Québec. Mais cela allait toujours mieux avec le PQ. Quand les taux d'intérêt frisent les 20 % au début des années 1980, Jacques Parizeau et Louis Laberge élaborent Corvée-Habitation, une mesure destinée à réduire la pression du loyer de l'argent sur les propriétaires.

Le Fonds de solidarité, dont les gestionnaires se trouvent sur la sellette actuellement à la commission Charbonneau, est aussi le fruit de la proximité de la FTQ avec le PQ. Jacques Parizeau, en 1984, avait donné le feu vert au projet de loi.

Réélu en 1989, Robert Bourassa nommera un syndicaliste au Travail, Norman Cherry, issu lui aussi de Canadair. Ce dernier se souvient avec acuité de la difficile adoption, en 1993, de la loi 142, un gros changement pour la construction. L'alliance FTQ-PQ joue encore: Jacques Parizeau promettra, à un congrès de la FTQ, de «scrapper» la loi libérale. L'appui de la centrale est acquis, tant pour l'élection que pour le référendum.

Une fois élu, Parizeau a droit à la visite de Laberge et Daoust, qui veulent choisir le ministre du Travail. Une intervention repoussée par le premier ministre.

Avec Lucien Bouchard, la bonne entente continue, mais la FTQ, alors dirigée par Clément Godbout, doit jeter du lest plus souvent. Mais on nomme le président du Fonds de solidarité, Claude Blanchet, le conjoint de la ministre des Finances Pauline Marois, à la tête de la «super-SGF», qui regroupera alors tous les leviers financiers du gouvernement.

«C'est vrai qu'il y a une plus grande proximité entre le PQ et la FTQ, mais je n'ai jamais eu de pressions excessives», se rappelle Diane Lemieux, ministre du Travail à l'époque.

Avec l'arrivée de Jean Charest, la tension monte entre Québec et les centrales. Quand Matthias Rioux, devenu ministre du Travail, promet que la construction s'occupera du câblage informatique et des systèmes d'alarme, Lucien Bouchard lui fait perdre la face à l'Assemblée nationale. Cette autre revendication de la FTQ reste lettre morte.

À l'automne 2003, des barrières permanentes sont installées devant l'Assemblée nationale: les groupes de pression et les centrales viennent jour après jour rappeler «qu'ils n'ont pas voté pour ça». Le peu de sympathie de Jean Charest pour les centrales s'illustrera en une formule, une allusion condescendante à souhait, à la présidente de la CSN, «ma petite madame Carbonneau»!