La commission Charbonneau, dont les audiences reprennent ce matin après la pause des Fêtes, s'apprête à remettre un rapport d'étape au gouvernement québécois. Ce premier bilan est très attendu, mais selon deux experts consultés par La Presse, il ne faut pas compter sur un rapport coup de poing avec de nombreuses personnes montrées du doigt.

Lorsque le gouvernement a accordé une prolongation à la Commission jusqu'en avril 2015, il avait exigé qu'un rapport d'étape lui soit remis d'ici le 31 janvier.

Me Simon Ruel, avocat chez Heenan Blaikie et spécialiste des commissions d'enquête, croit que le rapport s'attardera surtout aux problèmes systémiques dans l'industrie de la construction plutôt qu'aux rôles précis de certains individus. «Ils n'ont pas toute la preuve [...] il ne faut pas s'attendre à cette étape-ci à un rapport Gomery avec des blâmes.»

C'est aussi l'avis de Charles-Maxime Panaccio, professeur à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa. «C'est un rapport pour rassurer le gouvernement sur le travail accompli jusqu'à présent», précise-t-il.

Collusion à Montréal

Le maire Denis Coderre s'attend à ce qu'il y soit question de la corruption et de la collusion à la Ville de Montréal puisqu'il a été grandement question de cet aspect depuis le début des audiences.

«Montréal sera dedans, on a tous vu les mêmes choses, a affirmé le maire hier. On va voir les recommandations, mais j'ai déjà décidé d'agir. Il y aura l'inspecteur général... ceux qui devront payer payeront pour. Moi je veux m'assurer qu'on mette les paramètres en place pour que ça ne se reproduise plus jamais.»

Me Ruel s'attend aussi à y trouver des recommandations préliminaires pour combler les lacunes les plus urgentes qui ont été décrites devant la Commission. «Si on attend le rapport final, ça peut prendre une autre année et demie, aussi bien faire des correctifs le plus rapidement possible», dit-il.

Il ne fait pas de doute à ses yeux que le rapport sera rendu public par le gouvernement québécois puisque cela s'inscrit dans la logique d'une commission d'enquête publique. «La Commission est la créature du gouvernement et lui transmet son rapport. Le gouvernement choisit ou non de le publier, mais la pratique veut qu'il le soit.»

Le provincial bientôt visé?

Un sujet attendu à la Commission est le financement des partis politiques et l'octroi des contrats par le ministère des Transports du Québec.

Il faut faire encore preuve de patience puisque ce matin, n'en déplaise à la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), la Commission poursuivra l'analyse de l'infiltration du crime organisé dans le milieu syndical de la construction. Guy Gionet, président-directeur général de la SOLIM, bras immobilier du Fonds de solidarité FTQ, pourrait être entendu cet hiver, lui qui a été mis en cause par plusieurs témoins cet automne.

La commission Charbonneau doit aussi lever une ordonnance de non-publication visant le témoignage de l'homme d'affaires Louis-Pierre Lafortune, notamment accusé de gangstérisme.

Le financement politique pourrait donc être abordé ensuite, mais selon M. Panaccio, la qualité de ce volet dépendra des témoins et surtout des dénonciateurs. Il n'est pas dit que la Commission a trouvé un Lino Zambito ou un Ken Pereira, deux témoins dont les révélations ont permis d'obtenir la matière pour interroger les témoins suivants.

«Il faut aller là où la preuve les amène, mais s'il n'y a rien, il n'y a rien, précise M. Panaccio. Ce serait une déception et causerait de la frustration. Mais ça ne veut pas dire que la Commission aurait un de problème crédibilité, sauf pour ceux qui veulent que les partis politiques soient éclaboussés, mais ce n'est pas une fin en soi.»