Si la Commission Charbonneau a tant appris, au cours des derniers mois, elle le doit en bonne partie au témoin Ken Pereira et à l'écoute électronique.

L'écoute électronique a retenu l'attention tant par son contenu que par le débat qui a entouré son utilisation. Ce débat s'est transporté jusque devant les tribunaux, lorsque le Fonds de solidarité de la FTQ, le président de son conseil d'administration Michel Arsenault et l'ancien président de son bras immobilier, la SOLIM, Guy Gionet, ont tenté d'empêcher la Commission d'enquête sur l'industrie de la construction de s'en servir - en vain.

La commission a finalement eu recours à maintes reprises à des extraits d'écoute électronique pour rafraîchir la mémoire des témoins et celle-ci s'est révélée fort utile.

Le témoin Ken Pereira, un mécanicien industriel entêté et au charisme certain, a réussi à ébranler les colonnes du temple avec ses révélations sur la direction de la FTQ-Construction et les gens qui entouraient son ex-directeur général, Jocelyn Dupuis, et son ex-président, Jean Lavallée.

Le syndicaliste qui n'a peur de rien a raconté que c'est quand il s'est approprié les notes de frais de Jocelyn Dupuis qu'il a réussi à créer un rapport de force et à attirer ainsi l'attention sur ce qu'il disait. Selon M. Pereira, M. Dupuis était plus intéressé au pouvoir et à l'argent du Fonds de solidarité de la FTQ qu'à défendre véritablement ses quelque 70 000 membres.

M. Pereira, qui dirigeait une toute petite section locale de mécaniciens industriels au sein de l'imposante FTQ-Construction, a tout de même réussi à faire bouger les choses. Mais il a dû, pour ce faire, s'adresser aux médias, a-t-il déploré. Quand il a dénoncé M. Dupuis au président de la FTQ, Michel Arsenault, celui-ci n'a pas pris le taureau par les cornes sur-le-champ, selon M. Pereira. Et quand il a agi, il n'y est pas allé suffisamment en profondeur, à ses yeux.

Assis à son tour devant la juge France Charbonneau et le commissaire Renaud Lachance, Jocelyn Dupuis a dû admettre sa fréquentation d'entrepreneurs en construction et le fait qu'il faisait du démarchage pour eux auprès du Fonds de solidarité. Pour M. Dupuis, jouer au golf et partager ses repas au restaurant avec des entrepreneurs en construction était une façon de «faire des relations de travail» avec eux, d'entretenir de bonnes relations au bénéfice de ses membres ouvriers.

M. Arsenault n'a pas encore été entendu par la Commission Charbonneau. Il a quitté depuis son poste de président de la plus grande centrale syndicale du Québec. Mais il a toujours soutenu avoir fait le ménage et avoir agi dès qu'il a eu des preuves suffisantes des irrégularités.

Les audiences de la commission ont démontré que même après son départ, en novembre 2008, Jocelyn Dupuis a continué d'exercer une certaine influence.

Le Fonds de solidarité, quant à lui, a assuré qu'il avait modifié ses règles de gouvernance pour se mettre désormais à l'abri d'influences indues. Mais son représentant Gaëtan Morin a rappelé à la Commission Charbonneau que le risque zéro n'existait pas, que le crime organisé est «comme un virus» contre lequel «il faut s'assurer d'avoir le bon vaccin».

Les audiences ont également été marquées par l'abondance d'interdits de publication, cet automne, ce qui a déçu le public. D'ailleurs, au dernier jour des audiences, le 10 décembre, la juge Charbonneau s'est sentie obligée de justifier toute cette non-publication en lançant carrément: «nous n'avions pas le choix!». La commission est en effet tenue, par son mandat, de protéger la preuve qui doit être entendue au cours de procès.

Ces derniers mois d'audiences ont aussi permis d'apprendre un fait méconnu à ce jour: la collusion a pu être instaurée entre les firmes de génie-conseil même lorsque celles-ci n'avaient pas à s'y adonner pour entretenir de bonnes relations avec le monde politique.

Jusqu'ici en effet, les grandes firmes de génie-conseil qui avaient témoigné devant la Commission Charbonneau avaient soutenu que si elles s'étaient partagé entre elles certains contrats publics et avaient participé à divers stratagèmes, c'était non seulement pour accroître leur marge de profit, mais aussi pour pouvoir verser des contributions aux partis politiques qui leur en demandaient.

Or, les audiences ont permis d'apprendre que dans les villes de Québec et de Gatineau, le stratagème entre firmes de génie-conseil a eu cours sans implication d'homme politique ou de fonctionnaire. «Il n'y a jamais eu un fonctionnaire qui a été au courant ou un politicien qui a été au courant. Notre système, il n'avait pas d'indices», avait affirmé Marc-André Gélinas, du bureau de la firme Aecom pour la région de l'Outaouais.

De même, à Québec, les huit firmes de génie qui participaient au système, à l'époque, n'ont eu aucun complice.