Un pot-de-vin pour un premier ministre, une métropole «gangrenée par la corruption», un ministère de la ristourne: la commission Charbonneau n'est pas la première à dresser un sombre portrait du Québec. La Presse a dépoussiéré les rapports des commissions d'enquête qui ont marqué l'histoire de la province.

Bien avant la commission Charbonneau, cinq enquêtes publiques ont mis en lumière d'importants problèmes de corruption au Québec. Portrait d'une histoire peu reluisante.

Un premier ministre corrompu?

Le premier ministre Joseph Alfred Mousseau (1882-1884) a-t-il empoché un pot-de-vin pour truquer l'appel d'offres pour la construction de la façade de l'Assemblée nationale?

En 1885, le Québec déclenche sa toute première enquête publique sur une histoire de corruption. Une personne avait affirmé lors d'un procès qu'une somme de 10 000$, soit plus d'un demi-million en dollars d'aujourd'hui, était destinée à trois politiciens, dont le premier ministre de l'époque. L'allégation avait été prise très au sérieux puisqu'elle provenait d'un proche de l'élu, Jean de Beaufort. En plus d'être parent par alliance avec le premier ministre Mousseau, celui-ci s'occupait de financer ses campagnes électorales.

La commission Desjardins a établi qu'un entrepreneur, Alphonse Charlebois, a embauché secrètement Beaufort en 1882 pour l'aider à décrocher le contrat de construction du «Palais législatif», servant aujourd'hui de façade à l'Assemblée nationale. L'entrepreneur s'était classé bon dernier à l'appel d'offres, mais le gouvernement en a subitement changé les règles, éliminant du coup tous les soumissionnaires moins onéreux. Seul en lice, Charlebois a donc décroché le contrat.

Lors de son témoignage à la Commission, Jean de Beaufort a finalement nié avoir remis quelque somme que ce soit à Mousseau. Le premier ministre a quant à lui démenti être intervenu pour favoriser l'entrepreneur Charlebois, pour qui il avait déjà travaillé comme avocat.

Joseph Alfred Mousseau, qui avait été depuis nommé juge à la Cour supérieure, a été disculpé, la Commission estimant qu'il ignorait que Jean de Beaufort avait été embauché par l'entrepreneur au moment d'octroyer le contrat.

Montréal «gangrenée par la corruption»

La corruption était tellement répandue à l'hôtel de ville de Montréal, au début du XXe siècle, que le quart du budget de la métropole servait à payer des pots-de-vin, a conclu une commission d'enquête.

Excédés par les malversations, des citoyens ont exigé en 1909 la tenue d'une enquête publique sur l'administration de leur Ville «gangrenée par la corruption».

Le rapport de la commission Cannon est accablant, éclaboussant la majorité des élus. Des échevins exigeaient des pots-de-vin pour l'embauche du personnel et accorder des promotions. Il en coûtait ainsi 250$ pour devenir policier à Montréal (soit 8500$ en dollars de 2013). Le prix des contrats de construction était gonflé de 29% et celui du déneigement, de 50%.

Ayant flairé la bonne affaire, un ancien journaliste associé à un ex-ingénieur de la Ville avait réussi à détourner entre 50 000$ et 10 0000$ (soit entre 1,2 et 2,4 millions en dollars de 2013).

La commission a également découvert que Montréal avait son «monsieur 5%». Six entrepreneurs ont affirmé que l'échevin Lespérence, responsable de l'entretien de l'hôtel de ville, exigeait un pourcentage sur les contrats qu'il octroyait.

Dépassé par la corruption, le maire Louis Payette en est venu à recommander à la commission Cannon de carrément éliminer tous les postes d'élus et de confier la Ville au bureau du contrôleur... Lors d'un référendum, les 460 000 Montréalais ont décidé de réduire le nombre d'élus de 41 à 28.

Un ministère de la ristourne

Une commission d'enquête a découvert que l'Union nationale a utilisé le défunt ministère de la Colonisation pour verser pendant au moins 20 ans des ristournes aux membres du parti.

La commission Salvas (1963) a découvert qu'un système a été en place pour permettre à des membres du parti au pouvoir de toucher des commissions sur des achats.

«Ce système a servi comme moyen de verser, en majeure partie avec de l'argent public, des indemnités, des récompenses à des chefs, des organisateurs et autres partisans de l'Union nationale, et ce, pour services rendus à ce parti politique.»

De la corruption à Québec aussi

La Ville de Québec aussi a connu un important scandale de corruption quand les quotidiens de la Capitale multiplient en 1963 les révélations sur des irrégularités à la Cour municipale.

La commission Sylvestre a conclu en 1965 qu'un juge de la cour municipale «transigeait» avec des automobilistes pour réduire ou carrément annuler leurs contraventions. Des centaines de milliers de dollars étaient ainsi détournés chaque année. D'ailleurs, après la découverte de ce stratagème, les revenus de la Ville associés aux contraventions ont explosé: de 1455$ à 300 000$ par année.

Le crime organisé, un danger pour la santé publique

Les activités du crime organisé sont mauvaises pour la santé. C'est ainsi qu'on pourrait résumer le premier des huit rapports qu'a produits la commission d'enquête sur le crime organisé (CECO) de 1972 à 1980.

En 1975, le juge Jean-Louis Dutil a conclu que le crime organisé avait orchestré une vaste fraude en introduisant de la viande chevaline, souvent impropre à la consommation, dans les abattoirs de la province.

Les autres enquêtes de la CECO se sont intéressées aux liens du crime organisé avec le monde des affaires et la montée des groupes de motards tant à Montréal qu'à Québec. Pour lutter contre le crime organisé, la Commission a recommandé que le Québec s'inspire des États-Unis, où on se servait des lois fiscales pour coincer les membres du monde interlope. La CECO a également recommandé de faciliter le recours à l'écoute électronique dans la lutte contre le crime organisé.

Et si on refilait la facture des 43 millions que risque de coûter la commission Charbonneau aux personnes épinglées pour leur comportement? En 1895, Québec a modifié sa Loi sur les commissions d'enquête pour facturer les coûts aux municipalités faisant l'objet d'une enquête publique. Les règles prévoyaient également que leur paiement pouvait incomber aux personnes incriminées. Cette disposition a toutefois été abandonnée en 1926.