Blagues ou craintes légitimes ? Des employés du Fonds de solidarité discutaient ouvertement du danger de traiter avec des gens qui semblaient près du crime organisé, a entendu la commission Charbonneau.

En 2010, le bras immobilier du Fonds cherche à se sortir d'un projet présenté par Giuseppe «Jospeh» Bertolo, un proche du caïd Raynald Desjardins. L'enquête publique a présenté le courriel d'un chargé de projet du Fonds immobilier du Fonds FTQ, Nicolas Dufresne, qui lui faisait une proposition de règlement. Étrangement, celui-ci a signé sa missive «celui qui veut mourir».

Ex-directeur des investissements à la SOLIM, Guy Thériault y voit une simple blague. Il a admis que M. Bertolo avait des airs de personne peu fréquentable, avec son fort accent italien et ses cheveux lissés.

Si Thériault y a vu une blague, un autre collègue a pourtant ajouté à la main une remarque donnant un autre éclairage : «T'inquiète, on fournit les démarreurs à distance».

Guy Thériault savait très bien que le frère de Joseph Bertolo avait été assassiné un an plus tôt. Dans son témoignage, l'homme a également relaté avoir rencontré Giovanni «Jimmy» Bertolo une semaine avant que celui-ci ne soit assassiné en août 2005 pour parler d'un projet de développement près du IKEA à Boucherville. Le meurtre de ce proche de la mafia n'a pourtant pas empêché la SOLIM d'accorder un financement de 5 millions à son frère Giusepe «Joe» Bertolo un an plus tard dans un projet à Ville St-Pierre. «C'est un partenaire comme tant d'autres», a simplement expliqué M. Thériault.

Camouflage au Fonds

Plus tôt, la Commission a entendu que le Fonds de solidarité FTQ a tenté de camoufler en 2009 la présence d'un proche du crime organisé dans ses projets d'investissements. Un ancien directeur au bras immobilier du Fonds, Guy Thériault, a confirmé s'être fait demander de mettre fin aux dossiers de Denis Vincent.

Guy Thériault a repris ce matin son témoignage interrompu voilà deux semaines par l'arrivée d'un témoin mystère, que l'on peut seulement identifier comme le «témoin 106». Cet ancien directeur des investissements à la SOLIM a indiqué que la personne ayant succédé à Guy Gionet avait donné la consigne à l'été 2009 de «sortir Denis Vincent» des dossiers. Le bras immobilier du Fonds FTQ a racheté ses parts dans les projets dans lesquels il était impliqué.

Denis Vincent était considéré comme un proche du crime organisé, lui qui transportait certains membres à bord de son hélicoptère. Il aurait notamment oeuvré au projet de Place Telus à Québec, un projet de 30 millions dans lequel la SOLIM a investi pour convertir un ancien bureau de Postes Canada.

La décision d'effacer les traces des liens avec Denis Vincent, qui datait de bien avant, a permis de comprendre une conversation interceptée par les policiers de la Sûreté du Québec entendue par la Commission. Une écoute électronique entre Guy Gionet et le PDG du Fonds, Yvon Bolduc, démontre que la SOLIM a tenté de prendre ses distances dès mars 2009.

Alors qu'ils sont à parler du dossier de Place Telus, Yvon Bolduc demande à Gionet : «Est-ce qu'il y a moyen en pesant sur un piton 'Denis Vincent', rentrer Denis Vincent et tomber sur ce dossier-là? C'est ça que je me pose comme question».

Sur la conversation, Guy Gionet explique avoir utilisé la majorité du temps des prête-noms dans ses projets, mais que le nom de Denis Vincent pourrait tout de même faire surface. «C'est assez [délicat]. J'essaye de savoir si dans Telus comment je peux amoindrir l'effet de Denis. Je peux le cacher», dit-il.

Lafortune demande le huis clos

Plus tôt, un témoin fort attendu de la commission Charbonneau a présenté deux requêtes pour éviter d'avoir à témoigner ou, s'il y est forcé, à être entendu à huis clos. Si ses requêtes sont rejetées, l'homme d'affaires Louis-Pierre Lafortune est à tout le moins assuré de témoigner sous ordonnance de non-publication.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales a demandé ce matin à ce que le témoignage de l'ancien vice-président de Grues Guay (2005-2009) soit frappé d'un interdit de publication pour éviter de nuire à son procès. Louis-Pierre Lafortune est accusé de gangstérisme et complot pour recyclage de produits de la criminalité dans le cadre de l'enquête Diligence.

L'homme d'affaires juge cette mesure insuffisante et a lui-même présenté deux requêtes. La première est une demande en cassation de son subpoena l'obligeant à se présenter à la Commission, ce qui lui permettrait d'éviter d'avoir à témoigner. Toutes les demandes présentées à ce jour par des témoins ne souhaitant pas être entendus ont été rejetées.

La seconde requête présentée par M. Lafortune cherche à ce que son témoignage, s'il a lieu, se déroule à huis clos. Les représentants des médias et le public ne pourraient ainsi l'entendre, ce que n'empêche pas un interdit de publication. Soulignons que sur les 106 témoins entendus à ce jour par la Commission, aucun n'a été entendu à huis clos.

Avant de se lancer dans ce débat juridique, l'enquête publique qui reprend ce matin après une semaine entend à nouveau deux enquêteurs de la Commission. Nicodémo Milano et Stephan Cloutier avaient déjà été appelés à la barre pour présenter des éléments de preuve récoltés lors de l'opération Diligence, notamment beaucoup d'écoute électronique. Le Fonds de solidarité FTQ n'avait pas eu l'occasion de les contre-interroger. La Commission doit ensuite mettre fin au témoignage de Guy Thériault, ex-directeur investissements de la SOLIM et doit aussi ensuite débattre de la levée de l'interdit de publication sur le témoignage de l'entrepreneur Yannick Payette.

Liens avec le crime organisé

C'est à la suite de ces trois témoignages et du débat juridique sur le témoignage de Payette que la Commission entendra Louis-Pierre Lafortune. S'il témoigne, l'homme d'affaires devra s'expliquer sur sa proximité avec plusieurs membres du crime organisé.

Le nom de Louis-Pierre Lafortune a fréquemment rebondi à la Commission où il a été décrit comme un proche des motards Normand «Casper» Ouimet», Jacques «Israël» Émond et du caïd Raynald Desjardins. L'enquête publique a diffusé une demi-douzaine d'écoutes électroniques issues de Diligence.

Son nom a surgi la première fois lors du témoignage de Frank Zampino. Sur un enregistrement, Louis-Pierre Lafortune a discuté de l'achat de billets pour une activité de financement pour Garnier Kids, fondation de l'entrepreneur Joe Borsellino. «C'est Frank Zampino, on n'a pas le choix», l'a-t-on entendu dire.

Lors de son témoignage, le syndicaliste Ken Pereira a affirmé que Louis-Pierre Lafortune lui avait organisé une rencontre avec le caïd Raynald Desjardins. L'homme d'affaires lui aurait offert par un intermédiaire 300 000$ pour qu'il cesse d'importuner l'ex-syndicaliste Jocelyn Dupuis pour ses faramineuses allocations de dépenses.

Une proximité dangereuse

Plus tôt, l'avocat du Fonds de solidarité FTQ, Me André Ryan, a contre-interrogé deux enquêteurs de la Commission. Stephan Cloutier a indiqué que de l'argent provenant du commerce illicite de drogue a pu servir à des projets financés par le Fonds de solidarité FTQ.

Me Ryan a demandé la problématique associée au financement de 3 projets d'un proche du crime organisé, Ronald Beaulieu. «En étant très près du crime organisé, est-ce que ça veut dire que M. Beaulieu a investi de l'argent qui provient du commerce de la drogue ?» a demandé l'avocat. «En étant une relation, c'est possible», a indiqué l'enquêteur Cloutier.

Me Ryan a également tenu à souligner que les policiers n'ont jamais prévenu le Fonds de solidarité qu'une entreprise infiltrée par le crime organisé, Carboneutre, cherchait du financement. «Est-ce une pratique au SPVM quand on voit une entreprise qui s'apprête à faire affaire avec le crime organisé de les avertir ?» a demandé l'avocat.

«Non, surtout quand on a des enquêtes en cours», a répondu l'enquêteur Nicodémo Milano. En cours d'enquête, les policiers vont seulement intervenir s'ils découvrent grâce à l'écoute électronique seulement si leur vie est en danger.

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Nicodemo Milano est enquêteur de la commission Charbonneau et témoin actuel de la Commission.