Tony Accurso avait un accès privilégié au Fonds de solidarité FTQ grâce à l'influence du syndicaliste Jean Lavallée, selon le témoignage à la commission Charbonneau de l'ex-PDG de la SOLIM, Richard Marion.

La commission Charbonneau a repris ses audiences en public ce matin en s'intéressant aux luttes de pouvoir pour l'accès au financement du Fonds de solidarité FTQ. Richard Marion, qui a dirigé pendant près de 10 ans son bras immobilier, a affirmé qu'il y avait une directive de Jean Lavallée pour favoriser les compagnies de Tony Accurso, notamment Marton. «C'est clair que, autant que possible, on favorisait Marton.»

-

Tony Accurso était gourmand, a relaté le témoin. Un jour, l'entrepreneur lui propose d'acheter un terrain en face du Centre Bell pour construire des condos. Quand Richard Marion lui répond que ce n'est pas dans son mandat d'acheter des terrains et qu'il ne peut financer tous ses projets, Accurso lui réplique «T'as pas compris, je veux tout».

Richard Marion, un gestionnaire immobilier d'expérience, estime également que le Fonds de solidarité a payé beaucoup trop cher quand il a racheté les Galeries Laval de Tony Accurso, pour 85 millions. «Pour moi c'est 20 millions de trop.»

Autre signe de l'influence de l'entrepreneur sur le Fonds, Richard Marion dit que c'est grâce à lui qu'il a eu son poste à la SOLIM. En 1994, la direction de la division immobilière du Fonds se libère. Intéressé par le poste, Richard Marion dit avoir approché Tony Accurso pour que celui-ci lui présente Jean Lavallée, président de la FTQ-Construction à l'époque.

Richard Marion connaissait Tony Accurso des Galeries Laval, où il a essayé de lui recommander des locataires au début des années 1990. C'est à cette époque qu'il avait constaté la proximité entre l'entrepreneur et le syndicaliste. «C'est clair que c'étaient des bons amis», a indiqué le témoin.

Accurso organise une rencontre avec Jean Lavallée «à leur place habituelle»: aux Galeries Laval, soit au Tops ou à l'Onyx, deux établissements lui appartenant. En fait, Tony Accurso participera même à cette rencontre.

Jean Lavallée permettra ensuite à Richard Marion de rencontrer Henri Massé, qui était président de la FTQ. Celui-ci lui confiera finalement le poste de PDG de la SOLIM après un an de démarches.

Rencontres à Laval

Les rencontres à Laval ne se sont pas limitées à son embauche, mais ont été fréquentes durant son mandat, a relaté le témoin. «Quand on me convoquait à Laval, c'était pas une bonne journée. Je m'attendais à des demandes», a-t-il indiqué. La majorité du temps, Jean Lavallée y était accompagné de Tony Accurso.

Richard Marion dit avoir refusé de financer trois projets que lui a présentés Jean Lavallée. Il affirme avoir refusé d'investir dans un projet de pourvoirie dans le parc de la Vérandrye parce qu'il n'y voyait aucun potentiel de revenu pour la SOLIM. Richard Marion a aussi refusé d'investir dans la construction d'une tour à condo, le 6650 boulevard Couture, jugeant que trop de membres de la FTQ comptaient y habiter. «Je ne crois pas que la SOLIM a été créée pour faire plaisir aux gens de la FTQ», a-t-il dit.

Le témoin a indiqué que son départ a été précipité par son refus d'investir dans un 3e projet, à la marina Brousseau. L'endroit a été fréquemment évoqué à la commission Charbonneau, notamment en raison de la tenue de concours de «Wet T-shirts» frappés du logo de la FTQ-Construction. Richard Marion dit avoir été mal à l'aise avec ce projet en raison de la proximité des Hell's Angels dont il avait eu vent. Il jugeait aussi suspecte la présence de «bateaux cigares», des embarcations rapides très commodes pour faire de la contrebande, a-t-il indiqué. Malgré ses réticences, il dit avoir été forcé de faire cheminer le dossier quand, un matin, Guy Gionet est rentré dans son bureau blême en lui disant avoir été convoqué par Jean Lavallée : «La marina, il faut qu'on la fasse».

Richard Marion dit avoir découvert rapidement que Guy Gionet convoitait son poste et coulait des informations à Jean Lavallée.

Une semaine après son refus de financer le projet de la marina, Marion dit avoir été congédié. Il affirme que Jean Lavallée l'a convoqué à Laval pour le «lapider d'injures et de gros mots». Il le congédie et lui offre 50 000 $. Marion a fait valoir que son contrat prévoyait davantage et a finalement obtenu 1,25 million et six mois de salaire.

Chasse aux taupes au Fonds

Écorché par plusieurs reportages au début de 2009, le Fonds de solidarité FTQ a tenté de découvrir qui se cachait derrière les fuites aux médias. Congédié de la SOLIM en 2004, Richard Marion a relaté à la commission Charbonneau avoir été convoqué à une rencontre alors que la crise battait son plein. «Je parle avec Michel Arsenault et on pense que c'est toi qui parles aux médias», lui aurait-il dit Yvon Bolduc, du Fonds de solidarité. Le témoin dit aussi avoir été contacté par une avocate du Fonds pour lui rappeler qu'il avait signé une entente de confidentialité en quittant la SOLIM. Richard Marion a assuré ne pas avoir fourni d'informations aux médias. Le témoin a également indiqué qu'un avocat du Fonds lui a offert de le «coacher» si jamais il était contacté par la Commission, une offre aussitôt déclinée. «Vous êtes en retard, on l'a déjà appelé», a répondu Richard Marion, qui collabore pleinement à l'enquête publique.

Infiltration du crime organisé

Depuis cet automne, l'enquête publique s'intéresse à l'infiltration du crime organisé dans le mouvement syndical. Plusieurs informations ont circulé sur l'influence que certains membres de la mafia et des motards ont exercée pour tenter de mettre la main sur les milliards dont dispose le Fonds de solidarité.

Récemment, de l'écoute électronique a permis de comprendre que des membres du crime organisé ont réussi avoir des rencontres avec des dirigeants de la SOLIM. Une conversation interceptée par les policiers démontre que le caïd Raynald Desjardins a rencontré en privé Guy Gionet, qui a succédé à Richard Marion.

Vérifications faites, il a été question de la SOLIM à 263 reprises depuis le début des audiences de la Commission. L'entrepreneur Joe Borsellino avait reconnu avoir rencontré Guy Gionet. Le rendez-vous avait été fixé par Jocelyn Dupuis.

Le syndicaliste Ken Pereira a affirmé que Jean Lavallée avait reçu un pot-de-vin de 50 000 $ de la SOLIM.

Le procureur Simon Tremblay interroge Richard Marion, qui a dirigé la SOLIM de 1995 à 2004. Ce témoignage risque d'être bref puisque la Commission prévoit déjà entendre un autre témoin cet après-midi. Rappelons que la Commission prendra ensuite une semaine de pause avant d'entreprendre son dernier bloc d'audiences avant la pause des fêtes.