Après s'être longtemps opposé à la diffusion de l'écoute électronique dont il a fait l'objet, le président de la FTQ, Michel Arsenault, a été durement malmené par les extraits finalement entendus hier à la commission Charbonneau.

Michel Arsenault a toujours affirmé qu'il avait demandé à Jocelyn Dupuis de démissionner de son poste de directeur général de la FTQ-Construction après qu'il eut reçu copie, le 2 septembre 2008, de ses fastueuses allocations de dépenses, une gracieuseté du syndicaliste Ken Pereira. «Le ménage s'est fait en deux semaines. Moi, quand j'ai été convaincu comme président de la FTQ qu'il y a eu du laxisme, de l'exagération dans les comptes de dépenses, j'ai demandé à Jocelyn Dupuis de quitter la FTQ-Construction», a-t-il dit en entrevue à La Presse Canadienne dès mars 2009.

Mais cette version défendue encore hier par un avocat du Fonds de solidarité FTQ a été mise à mal par les enregistrements entendus hier. Aucune des conversations interceptées après le 2 septembre 2008 ne permet de constater que Michel Arsenault a affronté Jocelyn Dupuis sur ses dépenses.

Au contraire, les deux maintiennent des rapports cordiaux, se permettant même de discuter, le 8 septembre, d'un plan pour évincer Jean Lavallée de la présidence de la FTQ-Construction. «On parle d'un putsch en lien avec Jean Lavallée, c'est ce que j'en déduis», a commenté l'enquêteur Nicodemo Milano, appelé à commenter l'écoute électronique présentée à la Commission. Un autre enregistrement indique également que c'est Jocelyn Dupuis qui lui a annoncé, à la mi-octobre, son départ pour l'entreprise Carboneutre.

C'est d'ailleurs pour obtenir un financement de 7,5 millions du Fonds de solidarité FTQ que Jocelyn Dupuis appelait régulièrement Michel Arsenault depuis des mois. À au moins deux reprises entre le printemps et l'automne 2008, le président de la FTQ a conseillé son collègue sur les démarches à entreprendre pour avoir accès au financement du Fonds, dont il assurait la présidence du conseil d'administration.

Publiquement, Michel Arsenault a pourtant toujours affirmé qu'il n'y a «jamais, jamais eu de fast track au Fonds. [...] Jamais eu de dossiers au Fonds qui sont venus directement au conseil d'administration». «Ils ont toujours été traités par nos professionnels», avait-il déclaré à La Presse Canadienne.

À plusieurs reprises, sur les enregistrements, on entend Michel Arsenault rassurer Jocelyn Dupuis, lui disant qu'il suit le dossier de Carboneutre de près et que celui-ci progresse «dans la machine à saucisses». Dans un autre extrait, Arsenault presse Dupuis de convaincre Carboneutre de produire rapidement certains documents pour que le dossier puisse continuer d'avancer. «Qu'ils produisent les documents, après je m'organiserai», dit le président de la FTQ.

Dupuis intermédiaire

L'enquêteur Nicodemo Milano a souligné que l'écoute électronique fait ressortir le rôle d'intermédiaire de Jocelyn Dupuis entre le Fonds de solidarité FTQ et le caïd Raynald Desjardins. L'ex-directeur général de la FTQ-Construction appelait fréquemment ce proche de Vito Rizzuto pour l'informer de la progression de la demande de financement.

Le policier prêté à la commission d'enquête a souligné que Jocelyn Dupuis a bien pris soin de toujours cacher à Michel Arsenault que Raynald Desjardins se cachait derrière la firme de décontamination.

Lors d'une conversation, Dupuis a d'ailleurs fortement déconseillé au caïd de prendre part à une rencontre au Fonds de solidarité. «Veux-tu que je sois là, parce que je suis capable de mieux parler que tous les autres», lui a dit un jour Desjardins. «Non, tu peux pas être là. Non, non, non, non!», a vivement répondu Dupuis.

Lors de ses conversations avec Arsenault, Dupuis présentait toujours Carboneutre comme l'entreprise de Domenico Arcuri. Or, l'écoute électronique révèle plutôt qu'il connaissait à peine celui-ci, étant même incapable d'épeler correctement son nom ou celui de son entreprise, Construction Mirabeau.

Proche du crime organisé

Jocelyn Dupuis a été filmé en octobre 2008 en compagnie de membres influents du crime organisé alors qu'il était toujours à la tête de la FTQ-Construction. La commission Charbonneau a présenté des extraits de surveillance électronique effectuée par les policiers lors d'une enquête sur l'infiltration du crime organisé dans la firme Carboneutre. Le 27 octobre 2008, les agents ont surpris Jocelyn Dupuis devant les bureaux de Grue Guay, qui a bénéficié d'investissements majeurs du Fonds de solidarité FTQ, faisant la bise au caïd Raynald Desjardins. «M. Dupuis donne des becs à M. Desjardins. Dans un milieu criminalisé, ce n'est pas tant une marque d'affection que de familiarité, de proximité», a expliqué à la Commission l'enquêteur Nicodemo Milano, spécialisé dans le crime organisé. La vidéo montre que Mario Boulé, qui s'est reconnu coupable de gangstérisme et de complot pour trafic de stupéfiants en 2004, est également présent. Même s'il reste à l'écart sur l'enregistrement, on voit clairement que le motard Jacques Israël Émond est également présent.

Un autre extrait filmé le jour même montre Jocelyn Dupuis en train de marcher dans les rues de Saint-Léonard avec Giuseppe Joe Bertolo, dont le frère, un mafioso notoire, a été assassiné en 2005.

La Commission est également à entendre pas moins de 54 conversations électroniques interceptées lors de l'enquête sur Carboneutre. Dans les premiers extraits entendus, interceptés en mai 2008, on peut y entendre les démarches faites par Jocelyn Dupuis pour faciliter l'obtention d'un investissement de 7,5 millions du Fonds de solidarité de la FTQ.

Dans les enregistrements, Jocelyn Dupuis parle à plusieurs reprises de la ministre péquiste Élaine Zakaïb. À l'époque, celle-ci était présidente-directrice générale des Fonds régionaux de solidarité FTQ, poste qu'elle a occupé de 2004 à 2012.

Il y a deux semaines, un ex-actionnaire et cofondateur d'Énergie Carboneutre Benoit Ringuette, est venu témoigner de la «descente aux enfers» de son entreprise. La Commission s'intéresse de près aux acteurs impliqués dans cette prise de contrôle.

Enquêteur au SPVM prêté à la Commission, Nicodemo Milano a présenté les profils de plusieurs individus liés à cette affaire.

Il a notamment été question de Domenico Arcuri, aperçu par la GRC à 45 reprises au café Consenza de 2003 à 2006. Il a été notamment filmé remettant une enveloppe à Nick Rizzuto senior, présumé parrain de la mafia à l'époque. Arcuri a également été aperçu lors de l'enquête sur Carboneutre participé à un déjeuner de financement avec l'ex-ministre Line Beauchamp.

Autre personne d'intérêt, la Commission a présenté le profil de Raynald Desjardins, un proche de Vito Rizzuto. L'homme est présentement incarcéré, accusé du meurtre du mafioso Salvatore Montagna.

Dernier témoignage de Ken Pereira

Plus tôt ce matin, le dirigeant syndical Ken Pereira a mis fin à son témoignage entamé voilà déjà plus de trois semaines. L'avocat du Fonds de solidarité de la FTQ, Me André Ryan, a profité de son contre-interrogatoire pour tenter de démontrer que Jocelyn Dupuis a annoncé son départ de la FTQ-Construction 16 jours seulement après la dénonciation sur ses fastueuses allocations de dépenses par Ken Pereira au président de la FTQ, Michel Arsenault. 

Après un contre-interrogatoire corsé par la FTQ-Construction, le ton s'est considérablement apaisé aujourd'hui à l'enquête publique. En 30 minutes à peine à la barre, Me Ryan a méthodiquement questionné Ken Pereira sur la réaction de Michel Arsenault quand celui-ci a pris connaissance des allocations de dépenses de Jocelyn Dupuis. L'avocat a fait admettre au témoin que celui qui préside toujours la FTQ avait été profondément indigné de ses révélations.

Me Ryan a poursuivi en soutenant que cette rencontre a eu lieu le 2 septembre 2008 et non le 2 août, comme l'a affirmé dans son témoignage Ken Pereira. Le témoin a répété avoir des difficultés avec les dates et n'a pu le confirmer.

L'avocat a ensuite souligné que la FTQ-Construction publiait un communiqué le 18 septembre 2008, soit deux semaines après la rencontre, pour annoncer le départ de Jocelyn Dupuis comme directeur général du syndicat et de Jean Lavallée comme président.

Le contre-interrogatoire s'est également attardé à l'objectif de Ken Pereira en révélant les allocations de dépenses de Jocelyn Dupuis. Le témoin a reconnu qu'il cherchait principalement à évincer de son poste l'ex-directeur général de la FTQ-Construction.