Jocelyn Dupuis bénéficiait d'une loge au Centre Bell dont tous les frais étaient payés par l'entrepreneur Tony Accurso, selon le syndicaliste Ken Pereira. L'ex-directeur général de la FTQ-Construction y invitait des entrepreneurs et des motards.

Ken Pereira a expliqué que Jocelyn Dupuis (photo ci-contre) bénéficiait d'une loge au Centre Bell dont tous les frais étaient couverts par Louisbourg Construction, propriété de M. Accurso. «Tout le monde savait que la loge était payée par Tony Accurso (par Louisbourg). Jocelyn Dupuis ne payait pas», dit Pereira, qui y a mis les pieds à deux reprises.

En juin 2009, un allié lui relate un incident survenu au Centre Bell. Bernard Girard assiste avec le fils de l'entrepreneur, Jimmy Accurso, à un gala de boxe. Même s'ils sont assis près du ring, les deux montent dans la loge de la famille Accurso pour y prendre une bouteille de vin. Surprise une fois sur place, ils y aperçoivent Jocelyn Dupuis qui y est en compagnie de l'entrepreneur Joe Borsellino et de trois ou quatre motards. Jimmy Accurso se fâche de voir le principal concurrent de son père festoyer dans la loge. «Les motards se lèvent et brassent solidement Jimmy Accurso. Une chance que Bernard était là parce qu'il en aurait mangé une», a relaté Pereira.

Fait particulier, deux semaines après l'incident, Joe Borsellino se faisait battre sévèrement à la sortie de son entreprise. L'entrepreneur a toujours refusé de porter plainte, parlant de cet événement comme d'un simple «incident».

Dans son témoignage toujours aussi surprenant, Ken Pereira a reconnu avoir été proche de Tony Accurso. Les deux se rencontraient fréquemment. Le syndicaliste dit avoir en bonne estime l'entrepreneur puisque celui-ci l'aurait aidé en Alberta où il s'est relocalisé depuis ses démêlés au Québec avec la FTQ-Construction. Ken Pereira dit qu'Accurso le questionnait souvent sur les reportages que les journalistes préparaient à son endroit, sachant que le syndicaliste était l'une de leurs sources.

Élection truquée

Candidat intimidé par un Hells Angels, décompte des votes truqué : des manoeuvres frauduleuses ont entaché une élection à la direction de la FTQ-Construction, permettant à Jocelyn Dupuis d'asseoir son autorité sur le syndicat, a relaté le syndicaliste Ken Pereira, dans la suite de son témoignage devant le commission.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Jocelyn Dupuis

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En novembre 2008, la FTQ-Construction doit se choisir une nouvelle équipe de direction. La course est importante pour Jocelyn Dupuis qui veut assurer sa mainmise sur le syndicat, dit Ken Pereira. «Jocelyn (Dupuis) voulait la richesse à Tony (Accurso) et le pouvoir à Johnny (Jean Lavallée).»

L'un des trois candidats à la direction générale, Dominic Bérubé, se désiste subitement à la dernière minute et appuie Jocelyn Dupuis. Ken Pereira dit avoir appris plus tard que son retrait avait été forcé. Il aurait reçu la visite d'un Hells Angels, Jacques Israël Émond, alors qu'il se trouvait au restaurant Cavali avec Jocelyn Dupuis et un autre dirigeant de la FTQ-Construction dont il ignore l'identité.

Une manoeuvre aurait aussi entaché le décompte des votes lors de l'élection. Le président de la FTQ, Michel Arsenault, avait insisté pour être président d'élection, «parce qu'il ne voulait pas de magouilles». Au vote, 122 personnes ont droit de vote et le résultat annoncé par Michel Arsenault arrive précisément à ce résultat : 64 à 58 en faveur de Jocelyn Dupuis. 

Mais voilà, un homme au fond de la salle se lève et brandit son bulletin de vote qu'il a toujours en main. Impossible ainsi qu'on ait compté 122 bulletins. «Je crois encore que c'était organisé», dit Ken Pereira.

La campagne avait été rude et avait tourné autour des allocations de dépense de Jocelyn Dupuis. Bernard Girard, candidat que Ken Pereira soutenait, visitait les directeurs ayant droit de vote en leur servant un avertissement : «J'ai parlé à ma femme, je sais que j'ai laissé l'exécutif entre les mains à Jocelyn Dupuis. Si police vient cogner à ma porte, je pourrais faire un an. Toi, es-tu prêt à le faire?»

Massé ouvre la porte aux motards

Plus tôt aujourd'hui, Ken Pereira a affirmé que l'ex-président de la FTQ Henri Massé lui aurait admis avoir ouvert la porte aux motards en présentant au Fonds de solidarité un dossier de financement d'un sympathisant des Hells Angels.

L'ex-président de la FTQ Henri Massé aurait admis avoir ouvert la porte aux motards en présentant au Fonds de solidarité un dossier de financement d'un sympathisant des Hells Angels, selon le témoignage de Ken Pereira devant la commission Charbonneau.

Après la diffusion d'un reportage d'Enquête en mars 2009, le président de la FTQ, Michel Arsenault, demande à son prédécesseur, Henri Massé, de calmer le jeu à la FTQ-Construction.

Une rencontre entre Ken Pereira et Henri Massé, qui a dirigé la FTQ de 1998 à 2007, a lieu à l'hôtel Royal Versailles. L'ex-dirigeant syndical aurait alors demandé au témoin de la Commission d'arrêter de parler de vol. «Personne a volé quoi que ce soit à la FTQ-Construction. À partir de maintenant, j'ai dit à tous les directeurs et à toi : on ne parle plus de vol», lui aurait dit Massé.

Mécontent, Ken Pereira se met à parler des investissements du Fonds de solidarité, déplorant qu'un sympathisant notoire des Hells, Ronnie Beaulieu, ait reçu de l'argent du Fonds de solidarité FTQ. «Henri Massé m'a coupé la parole : ''Ronnie Beaulieu, si on veut mettre un blâme, on peut le mettre sur moi. C'est moi qui ai donné accès à Jocelyn Dupuis pour avoir Ronnie Beaulieu au Fonds, amener son dossier au Fonds de solidarité.''»

Ronnie Beaulieu est le propriétaire du bar de danseuses 10/35 que fréquentaient certains dirigeants de la FTQ-Construction, qui ont reconstruit gratuitement l'établissement qui avait été la cible de deux attentats.

300 000$ pour le silence de Pereira

Plus tôt, Ken Pereira a dit s'être fait offrir 300 000$ pour qu'il cesse de s'en prendre à Jocelyn Dupuis. La police a également cru bon le mettre sous protection en 2008, sa vie étant en danger selon eux.

Le procureur Simon Tremblay a relancé son interrogatoire ce matin en questionnant le témoin sur les offres monétaires qu'il a reçues pour acheter son silence. Ken Pereira a révélé qu'un tiers l'avait approché de la part de Louis-Pierre Lafortune, de Grue Guay. Celui-ci lui a offert «trois feuilles», soit 300 000$. En échange, le syndicaliste devait s'engager à cesser de s'en prendre à Jocelyn Dupuis, directeur général de la FTQ-Construction.

Cette offre n'a pas empêché le syndicaliste de se tourner vers les journalistes pour rendre publiques les allocations de dépenses de Jocelyn Dupuis.

Protection policière

En 2008, Ken Pereira dit avoir été intercepté par deux policiers alors qu'il se trouvait en voiture. «On m'a dit que ma vie était en danger, t'es passé des ligues mineures aux ligues majeures», lui ont dit policiers. Ils lui offrent de faire de lui un agent source, de le placer sous protection, situation qu'il juge surréaliste.

Ils lui révèlent que des hauts dirigeants de la FTQ sont sous surveillance et que son nom circule de plus en plus. Ils refusent toutefois de lui dire d'o venait la menace.

Après sa rencontre avec les policiers, Ken Pereira demande une rencontre avec Michel Arsenault, président de la FTQ, en qui il avait toujours confiance. Il lui dit avoir été rencontré par des policiers et dit tout lui avoir raconté. Sa réaction l'ulcère : «Il s'est reculé sur sa chaise, a mis les pieds sur son bureau et m'a dit ''Ken, si t'es dans drogue, que veux-tu qu'on fasse?''».

Fâché, c'est à ce moment qu'il dit avoir perdu confiance et avoir décidé de tout déballer aux journalistes d'Enquête.

Ces révélations viennent s'ajouter à son témoignage explosif d'hier quand Ken Pereira a affirmé que Jocelyn Dupuis servait de pion au caïd Raynald Desjardins pour prendre le contrôle du Fonds de solidarité FTQ.