La collusion entre les producteurs d'asphalte a aussi affecté le ministère des Transports du Québec (MTQ), a affirmé Gilles Théberge devant la commission Charbonneau. Les entrepreneurs s'appelaient entre eux pour se partager le territoire québécois.

«Pour nous, le boss c'était Vaillancourt»

« La collusion représente le profit », a résumé le témoin, qui a travaillé jusqu'en 2000 pour Sintra, le principal producteur d'asphalte pour le MTQ. L'entreprise a décroché pour plus de 1,6 milliard en contrats auprès du ministère de 1997 à 2012, dont le quart de tous les contrats d'asphalte octroyés. Gilles Théberge a précisé que, à sa connaissance, la collusion touchait uniquement les travaux d'asphalte et non tous les chantiers de construction.

Le témoin a expliqué que c'est souvent le producteur le plus près du chantier prévu qui était désigné pour obtenir le contrat. Après le lancement d'un appel d'offres, les entrepreneurs s'appelaient entre eux pour s'assurer du partage, mais surtout, que le prix soit plus élevé que si le contrat était octroyé en libre concurrence. « La question, c'est pas juste de remporter un projet, c'est d'avoir un meilleur prix », a exposé le témoin.



Le témoin a toutefois précisé que, à sa connaissance, Sintra n'était pas de mèche avec des fonctionnaires provinciaux pour obtenir de faux extras à l'époque où il travaillait. Pourtant, il a reconnu avoir reçu des informations privilégiées de certains employés.

Sintra traitait d'ailleurs aux petits oignons les directeurs régionaux. L'entreprise invitait à des soupers « huîtres et steaks » une fois par année. Certains étaient aussi invités à des séjours de pêche u saumon, à l'Anse-St-Jean. D'autres avaient droit à des soirées dans une loge du Centre Bell. Si Théberge se rappelle avec précision le nom des fonctionnaires de Montréal lui ayant fourni des informations, sa mémoire flanche pour se contacts privilégiés au MTQ.

La Commission a déposé une liste des contrats du MTQ. Le volet asphalte permet de constater que Sintra était parmi les principaux fournisseurs d'asphalte dans 13 régions du Québec, notamment dans la grande région de Montréal. Seuls l'Outaouais et la Capitale-Nationale ont échappé à la mainmise de Sintra, puisque l'entreprise n'avait pas d'usine dans ces secteurs.

La Commission a aussi déposé un tableau démontrant que 19 entreprises ont décroché la moitié de tous les 18 milliards contrats de construction octroyés par le MTQ de 1997 à 2012.

Comme la majorité des témoins entendus par la Commission, Gilles Théberge a reconnu avoir fait des contributions politiques illégales. Il a versé 6900$ de 1997 à 2007. C'est toutefois le premier à avoir fait la majorité de ses dons à l'Action démocratique du Québec. Avec sa femme, il a donné 5000$ au défunt parti de Mario Dumont en 2007. Étonnement, l'homme a dit ignorer pourquoi il avait donné autant au parti à l'époque. « Aucune idée. Peut-être que l'ADQ avait le vent dans les voiles », a-t-il offert comme explication.

Place à Mergl

Après le témoignage de Gilles Théberge, la commission Charbonneau entendra l'entrepreneur Ronnie Mergl sur le stratagème de collusion qui aurait été en place à Laval. L'entrepreneur a été arrêté par l'Unité permanente anticorruption il y a deux semaines pour sa participation au stratagème de Laval. Avec son frère Anthony, il dirige l'une des principales entreprises de construction sur l'île Jésus, Nepcon. Selon une compilation des contrats municipaux de La Presse, l'entreprise a décroché pour 40 millions de contrats entre 2001 et 2008. Seules les entreprises de Tony Accurso, Louisbourg et Simard-Beaudry, avaient récolté davantage à l'époque.

Nepcon s'était reconnu coupable en 2000 d'avoir participé dans un cartel de déneigement dans la région de Montréal.

Selon le site web Rue Frontenac, les administrateurs de l'entreprise avaient versé 22 000$ à la caisse du Parti libéral du Québec de 2001 à 2009.

Hausse de 80% du prix de l'asphalte

Par ailleurs, la Commission a démontré ce matin que le prix de l'asphalte acheté par la Ville de Montréal a soudainement explosé de 80% en 2000 alors que les producteurs se sont entendus pour se partager les contrats. La procureure Claudine Roy a présenté l'appel d'offres de la Ville de Montréal lancé en 2000 pour acheter des enrobés bitumineux. Cette démarche coïncide avec l'époque à laquelle le témoin Gilles Théberge affirme que les producteurs d'asphalte. « Moi avoir été la Ville de Montréal, avoir vu ça, j'aurais sonné la cloche », a indiqué le témoin.