L'ex-maire de Laval, Gilles Vaillancourt a conseillé l'ingénieur Roger Desbois, d'AECOM-Tecsult, dans le partage des contrats municipaux, en plus de lui demander de payer des pots-de-vin à des fonctionnaires.

Roger Desbois poursuit son témoignage cet après-midi devant la commission Charbonneau. Après avoir reconnu ce matin avoir distribué 2,7 millions au parti de l'ex-maire à travers un système de ristourne de 2% des contrats municipaux, il a admis avoir brièvement orchestré le partage des contrats auparavant géré par le directeur des travaux urbain de Laval, Claude Deguise.

Après le départ du fonctionnaire de la Ville de Laval en janvier 2008, Desbois dit avoir accepté de prendre sa place à la tête du stratagème de partage des contrats. À l'époque, de 15 à 20 appels d'offres ont été lancés simultanément et quelqu'un devait rapidement prendre le relai pour assurer le bon fonctionnement de la collusion. «Je me suis occupé de faire la distribution aux entrepreneurs. De donner tel mandat à un, tel à un autre, de façon à ce que la collusion puisse se faire», a résumé le témoin.

Il est convaincu que Gilles Vaillancourt était au courant puisqu'il lui aurait prodigué ses conseils pour éviter d'éveiller les soupçons : «Ne les donne pas tous au même», lui aurait dit l'ex-maire.

Roger Desbois a directement impliqué Gilles Vaillancourt dès le début de son témoignage, ce matin, devant la commission Charbonneau. Il a relaté que l'ex-maire de Laval, qu'il était allé rencontrer dans son bureau, lui avait demandé de donner 20 000$ à Jean Roberge, directeur général adjoint de Laval, et 50 000$ à Gaétan Turbide, l'actuel directeur général de Laval. Le paiement pour Turbide n'était qu'un acompte puisqu'il devait toucher 120 000$ en tout.

Le témoin explique qu'il a eu accès à d'importantes sommes d'argent parce qu'il agissait à titre de «collecteur» à Laval, de 2003 à 2009, après le départ de Marc Gendron, de la firme Tecsult.

C'est l'ex-directeur général de Laval, Claude Asselin, qui lui a proposé ce rôle lors d'une rencontre dans les bureaux de la Ville de Laval, sur le boulevard du Souvenir. «C'est pas un poste sur lequel on fait application. Mais j'ai pas senti que c'était quelque chose de grave», a expliqué le témoin.

Asselin lui aurait expliqué que le système de partage des contrats permettait à son employeur, Tecsult, de récolter 25% des contrats de Laval. S'il refusait d'agir à titre de collecteur, la part de marché de sa firme risquait de descendre à 15%. L'enjeu était important pour l'entreprise puisque la moitié de son chiffre d'affaires en génie urbain provenait de Laval.

Roger Desbois admet qu'il a lui-même profité du stratagème, à l'initiative de Gilles Vaillancourt. L'ex-maire lui aurait demandé en 2008 combien il voulait pour son rôle dans la collecte de fonds pour son parti. Le témoin affirme qu'il en a été surpris, car il avait accepté ce rôle pour le bien de sa firme. Vaillancourt lui aurait proposé de garder 10% des fonds collectés. Desbois aurait ainsi empoché une somme de 106 200$ en 2010, soit 10% des fonds récoltés en 2008 et 2009. Il dit d'ailleurs avoir remis 81 000$ aux enquêteurs de l'escouade Marteau après leur avoir avoué sa participation au stratagème de collusion.

Roger Desbois a expliqué à la Commission qu'il percevait 2% de la valeur des contrats («très occasionnellement 1%») auprès des entrepreneurs pour le financement du PRO des Lavallois, parti du maire Vaillancourt. C'est le directeur des travaux urbains à la Ville de Laval, Claude Deguise, qui lui fournissait les renseignements nécessaires à la collusion.

Deguise lui remettait une liste de contrats dont certains étaient marqués d'un «X», signe que les appels d'offres étaient truqués. «Ce n'est pas tous les contrats qui étaient arrangés, c'étaient certains», dit Desbois. Il n'a pas été en mesure d'expliquer pourquoi certains contrats seulement étaient partagés. Il a simplement dit que l'«harmonie» n'était pas toujours au rendez-vous.

Au départ de Claude Deguise, c'est Jean Roberge, qui a témoigné la semaine dernière, qui a fourni à Desbois les renseignements nécessaires à la collusion.

Selon lui, 18 entreprises ont pris part au stratagème, dont un groupe de «réguliers». «Les réguliers prenaient 80 à 85% du marché. Le reste était distribué auprès des autres», a-t-il expliqué. Il a précisé que ces entrepreneurs privilégiés étaient Louisbourg-Simard-Beaudry, Poly Excavation Nepcon, Jocelyn Dufresne, J. Dufresne Asphalte et Valmont-Nadon. Sintra a fait partie de ce groupe jusqu'à ce qu'il se refuse de participer au partage des contrats vers 2005.

Les entreprises qui obtenaient occasionnellement des contrats étaient G. Giulani, Mergad, Ciment Lavallée, Asphalte Desjardins, DJL Construction, Timberstone, Lavallée et Frères, Carl Ladouceur Excavation, VG Construction et Doncar.

Roger Desbois a également affirmé que l'entreprise Demix participait au partage des contrats mais refusait de remettre une ristourne «en raison de son code d'éthique». Cet important fournisseur de béton aurait toutefois fait bénéficier les membres du système de prix avantageux.

Importantes livraisons

Le témoin a expliqué que les entrepreneurs apportaient leur contribution de 2% dans son bureau, chez Tecsult. Roger Desbois cachait l'argent dans un coffre-fort auquel seuls Marc Gendron et lui avaient accès. Il ne remettait l'argent au PRO des Lavallois que lorsqu'il avait accumulé d'importantes sommes: «Je ne faisais jamais de livraison à moins de 200 000$.» Il dit que la plus importante livraison a été de 400 000$.

Roger Desbois estime avoir récolté 2,7 millions pour le PRO des Lavallois au fil du temps. Il calcule qu'il a versé environ 700 000$ à l'avocat Jean Bertrand alors qu'il était représentant accrédité du parti. Après son départ, c'est l'avocat Pierre Lambert qui a pris sa relève. Roger Desbois estime lui avoir versé 2 millions.

S'il connaît aussi bien les chiffres, c'est qu'il a longtemps conservé une comptabilité des paiements faits au parti. Il dit toutefois avoir détruit la clé USB dans laquelle il conservait cette comptabilité occulte.

Il a par ailleurs décrit en détail sa dernière livraison d'argent à Lambert, en novembre 2009. Comme à leur habitude, les deux se sont rencontrés aux bureaux de Tecsult, sur le boulevard Saint-Martin. Roger Desbois avait caché l'argent dans le coffre de sa voiture. Comme Pierre Lambert craignait d'être filmé par une caméra de sécurité, les deux ont décidé de changer d'endroit de livraison. Ils se sont donné rendez-vous dans le stationnement d'un café Starbucks, à 2 km de là. Desbois a trouvé l'endroit trop passant et a décidé de faire la livraison dans une petite rue parallèle au boulevard Saint-Martin. «C'est presque comme dans les vues», a noté Desbois.

Inquiet de la mise sur pied de l'escouade Marteau, l'homme dit avoir informé l'intermédiaire du parti de Vaillancourt qu'il mettait fin à sa participation. «Je lui ai dit que c'est terminé pour moi.»

Roger Desbois avait été déjà décrit devant la commission Charbonneau comme le responsable de la collusion chez les ingénieurs à Laval. Son nom a été mentionné à 61 reprises depuis le début des audiences. C'est principalement Jean Roberge, directeur général adjoint de Laval, qui a expliqué le rôle que jouait Desbois dans le système. Roberge a dit qu'il lui avait transmis les renseignements nécessaires pour le partage des contrats, notamment la liste des entreprises intéressées par un appel d'offres. Il est interrogé par le procureur Simon Tremblay.

Faux extras

La collusion n'affectait pas simplement l'octroi des contrats, a expliqué Roger Desbois. Il a également admis avoir accordé des faux extras aux entrepreneurs en échange de cadeaux. Il évalue avoir ainsi reçu environ 400 000$ à 450 000$, soit 8% à 10% des suppléments accordés.

Cet aveu permet d'évaluer que Roger Desbois a autorisé de 4 à 5,6 millions en faux extras pour des chantiers à la Ville de Laval.

Le témoin a expliqué que la concurrence était si féroce au début des années 2000 que certains entrepreneurs réclamaient des suppléments pour augmenter leur marge de profit. S'il ne recevait rien au début pour son aide, le retraité dit avoir peu à peu reçu des cadeaux en argent ou en voyage au Mexique ou de pêche à Natashquan, sur la Côte-Nord.

Roger Desbois a précisé qu'il n'autorisait de faux extras à toutes les entreprises, seulement les «politisées», soit celles qui payaient le 2%.

Le témoin a précisé avoir remis aux policiers une importante partie de l'argent qu'il a reçu grâce aux faux extras. Il dit leur avoir remis 300 000$ qu'il cachait dans un coffret de sûreté.

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Liste des 18 entreprises membres du stratagème de Laval selon Desbois

>Louisbourg-Simard-Beaudry (intermédiaire: Joe Molluso, arrêté le 9 mai)

>Poly Excavation (Marc Lefrançois, arrêté le 9 mai)

>Nepcon (René Mergl, arrêté le 9 mai)

>Jocelyn Dufresne (Jocelyn Dufresne, arrêté le 9 mai)

>J. Dufresne Asphalte (Patrick Lavallé et Luc Lemay, arrêtés le 9 mai)

>Valmont-Nadon (Gilles Théberge)

>Sintra (Mario Desrochers, arrêté le 9 mai, et Nicolas Théberge)

>G.Giulani (Giulano Giulani, arrêté le 9 mai)

>Mergad (Mike Mergl, arrêté le 9 mai)

>Ciment Lavallée (Lyan Lavallée, arrêté le 9 mai)

>Asphalte Desjardins (Mario Desrochers, arrêté le 9 mai)

>DJL Construction (Roger Trudel)

>Timberstone (Léo Moscato, arrêté le 9 mai)

>Lavallée et frères (Daniel Lavallée, arrêté le 9 mai)

>Carl Ladouceur Excavation (Carl Ladouceur, arrêté le 9 mai)

>Construction VG (Marc Lefrançois, arrêté le 9 mai)

>Construction Doncar (Éric Giguère)

>Demix (aucun intermédiaire)