Un proche de Guy Chevrette a demandé 100 000$ à Gilles Cloutier en 2001 s'il voulait accéder à celui qui était alors ministre des Transports, a révélé Cloutier devant la commission Charbonneau. L'ex-élu péquiste aurait lui-même demandé au représentant de Roche de manoeuvrer pour qu'un ami entrepreneur décroche un important contrat.

En 2000, Gilles Cloutier a appris en lisant La Presse que le ministère des Transports du Québec (MTQ) projetait de construire une route dans Lanaudière, un projet de 31 millions de dollars. En se renseignant, il a su que le projet, confié en gestion à la Ville de Saint-Donat, devait revenir à une firme concurrente de Roche, Génivar. Il a découvert que le maire et les ingénieurs avaient célébré lors d'une soirée arrosée au champagne avant même que le contrat soit attribué.



Déterminé à faire dérailler leur plan, Gilles Cloutier a informé Guy Chevrette, alors ministre des Transports, de la petite fête. Choqué, le péquiste décide alors d'écarter Génivar. «Dans le fond, vous avez tassé une magouille pour en faire une autre ?», a demandé la procureure Sonia LeBel à Gilles Cloutier. «Exactement», a-t-il répondu.

Le MTQ a donc retiré le dossier à la Ville de Saint-Donat pour en confier la gestion à la MRC de Matawinie. À la suggestion de Gilles Cloutier, le comité de sélection a été composé des maires des municipalités longeant la route. La suggestion n'était pas innocente puisque, à l'exception du maire de Saint-Donat, les autres étaient de bons amis de Cloutier, pour qui il avait organisé des élections clés en main. «Je menais 4 à 1», a résumé le témoin.

Gilles Cloutier affirme même qu'il avait un «poteau» au comité de sélection. Il s'agit de l'ex-maire de Chertsey, Daniel Brazeau, qui travaille aujourd'hui au développement des affaires de Roche. En plus de l'informer des délibérations du comité, Brazeau aurait influencé un autre membre, qui ne se sentait pas à l'aise d'évaluer la compétence des firmes de génie. Roche a remporté la mise haut la main.

Après avoir décroché le contrat, Gilles Cloutier a rencontré Guy Chevrette, qui lui a demandé de confier le contrat de construction à «un ami commun», c'est-à-dire à Pavages Desjardins. Cloutier a donc facilité le trucage de l'appel d'offres pour que cette entreprise le remporte.



En parallèle, un proche de Chevrette, Gilles Beaulieu, a demandé à Cloutier un pot-de-vin de 100 000$ pour lui permettre d'accéder au ministre. Il lui a expliqué plus tard que cet argent devait servir à payer un voyage avec l'ex-ministre et leurs femmes. Cloutier confirme avoir lui-même versé 25 000$ comptant et ne sait pas si le reste a été payé.

Voyage aux frais de Roche

La firme de génie Roche a en outre mis pendant plusieurs années une luxueuse maison à la disposition de nombreux élus, dont l'ex-ministre péquiste Guy Chevrette, a en outre révélé Gilles Cloutier devant la commission Charbonneau.

Le témoin, qui a été vice-président au développement des affaires de Roche pendant 10 ans, affirme qu'il a loué à la firme sa résidence de Charlevoix à la firme, qui l'offrait à des élus. Plusieurs ministres, maires et conseillers municipaux y ont séjourné. L'ex-ministre Guy Chevrette fait partie du lot.

L'ex-maire de Boisbriand, Robert Poirier, et celui de Chertsey, Daniel Brazeau, ont aussi été de fréquents visiteurs. 

La Commission a présenté une série de photos démontrant que tous les élus de Sainte-Julienne, dans Lanaudière, ont eu droit à un voyage aux frais de Roche. On y voit le maire Marcel Jetté et ses conseillers. «Équipe Marcel Jetté vous dit merci», peut-on lire sur une note datée de 2002.

Gilles Cloutier affirme que Roche lui versait 10 000$ pour la location de sa maison durant 5 ou 6 semaines.

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Plus tôt, l'organisateur politique Gilles Cloutier a révélé qu'il avait invité plusieurs fois des maires et des ministres à des réceptions afin d'aider les villes à obtenir des subventions des gouvernements et de permettre à la firme de génie Roche d'obtenir plus de contrats. 

De 1998 à 2004, Gilles Cloutier a profité de la partie inaugurale des Expos au Stade olympique pour inviter des élus à un cocktail. Il affirme que chaque soirée pouvait attirer jusqu'à 300 maires et ministres. Ces réunions mondaines étaient tellement populaires, en fait, qu'il a dû constituer une liste d'attente.

Les soirées étaient réglées au quart de tour. Des invités de marque, comme les hockeyeurs Jean Béliveau et Pierre Bouchard ou l'humoriste Yvon Deschamps, étaient aussi de la partie.

La dernière soirée a coûté 140 000$, facture entièrement payée par Roche. Sur une vidéo présentée à la Commission, on peut voir l'ex-maire Gérald Tremblay, l'ex-président de l'Assemblée nationale Michel Bissonnet et le cardinal Jean-Claude Turcotte. Les ex-ministres Jacques Dupuis et Jean-Marc Fournier étaient là aussi, tout comme plusieurs députés, dont Tony Tomassi.

Tout le comité exécutif de la Ville de Montréal était également présent, dont Gérald Tremblay et Frank Zampino. «Je ne sais pas s'il reste encore quelqu'un à la Ville de Montréal», blague d'ailleurs l'animateur, le hockeyeur Pierre Bouchard, après les avoir tous nommés.

Ne laissant rien au hasard, Cloutier affirme qu'il assoyait les maires près des ministres susceptibles de leur accorder une subvention. Louise Harel, ministre des Affaires municipales dans l'ancien gouvernement du Parti québécois, en était.

Tous les élus étaient invités en fonction des contrats qu'il avaient accordés à Roche ou de ceux qu'ils étaient susceptibles de lui confier. «C'étaient des gens susceptibles de me donner de l'ouvrage», explique Cloutier.

Cette pratique n'est pas apparue avec Cloutier, a souligné la procureure LeBel. Elle a présenté un document daté de 1994 dans lequel Roche détaille ses pratiques de «développement des affaires». Le document énumère les cadeaux à offrir aux fonctionnaires et aux élus ainsi que les dons à faire aux partis en signe d'«appréciation». L'objectif était clair : «Influencer le client sur le processus d'appel d'offres, la grille d'évaluation des soumissions, les membres du comité sélection, les firmes invitées».

Gilles Cloutier a pour sa part été embauché en 1995 pour «développer les affaires» de Roche dans la région de Montréal. Il affirme qu'il a «ouvert 160 marchés» à la firme, laquelle était surtout présente dans la région de Québec avant son arrivée.

C'est Marc-Yvan Côté qui l'avait recruté, au salaire de 52 000$ par année, plus ses frais. Amateur de bons restaurants, Gilles Cloutier avait la note de frais la plus importante de Roche.

Son travail consistait à se rapprocher des élus pour obtenir des renseignements sur les projets à venir afin de damer le pion aux aux concurrents.

Il a notamment indiqué que le chef de la CAQ, François Legault, alors qu'il était député du Parti québécois dans Rousseau, lui a annoncé à l'avance qu'un chantier aurait lieu à Sainte-Julienne, dans sa circonscription. 

Par ailleurs, Gilles Cloutier soutient que la firme Roche était si influente dans certaines municipalités qu'elle pouvait y faire nommer l'un de ses employés à titre de directeur général, ce qui facilitait son accès aux contrats. Roche pouvait également embaucher d'anciens directeurs généraux conciliants pour bénéficier de leur expertise. «Les firmes de génie ont vidé les meilleurs hommes aux Transports. C'est pour ça que la collusion est devenue si facile», a déclaré Cloutier, dont le témoignage - explosif jusqu'à présent - devrait se poursuivre pendant au moins deux jours encore.

À la première journée de son témoignage, hier, il a braqué les projecteurs de la commission Charbonneau sur le financement illégal des partis politiques, les prête-noms, la double comptabilité, les fausses factures et les bénévoles rémunérés. Selon lui, les fonds des partis politiques, tant provinciaux que municipaux, proviennent largement d'entreprises et sont «blanchis» par des prête-noms.