L'ex-président du comité exécutif de Montréal, Frank Zampino, ne voit rien d'anormal à ce qu'un ingénieur ait organisé et payé une rencontre entre lui et celui qui allait devenir directeur général de la Ville, en mai 2006.

Frank Zampino, le «sphinx» déchu

Les intouchables de Saint-Léonard

La procureure Sonia Lebel a questionné le témoin sur l'embauche de Claude Léger, en remplacement de Robert Abdallah. Lors de son passage devant la commission Charbonneau, l'ancien directeur général de la métropole avait affirmé avoir été convoqué par l'ingénieur Rosaire Sauriol pour un entretien avec l'ex-président du comité exécutif.

Frank Zampino a affirmé que c'est Claude Léger qui a demandé à Rosaire Sauriol, vice-président de Dessau, d'organiser cette rencontre pour «parler des enjeux de la Ville». Cette explication n'a pas convaincu Me Lebel qui s'est étonnée qu'un ingénieur organise une telle rencontre, assiste et paie pour les frais d'un tel entretien. «Je ne voyais pas dans cette rencontre aucun problème, je ne partageais aucune information privilégiée devant M. Sauriol», a simplement répondu le témoin.

Zampino a également assuré que cet entretien n'était pas une entrevue d'embauche, contrairement à ce que Claude Léger dit avoir ressenti. «Ce n'est pas au club St-Denis que son embauche s'est décidée», a assuré le témoin.

La version de Claude Léger de cet épisode est fort différente. D'abord, il affirme que c'est Rosaire Sauriol qui l'a convoqué à la demande expresse de Frank Zampino. «Je reçois un coup de téléphone de Rosaire Sauriol qui me dit: 'Claude, monsieur Zampino aimerait ça te rencontrer. Est-ce que tu accepterais de venir à un souper avec lui?'»

De plus, Claude Léger affirme que Frank Zampino a peu parlé, mais l'a au contraire questionné sur sa vision de la Ville. «Monsieur Zampino a parlé peu. Il m'a surtout écouté, il m'a parlé de ma vision de la gestion de la Ville, des enjeux tels que je les voyais, et caetera. J'ai comme compris qu'il cherchait à voir quel type de personne j'étais.»

Liens avec la mafia

En matinée, le témoignage de l'ex-président du comité exécutif de Montréal s'est concentré sur ses liens avec la mafia montréalaise. La procureure Sonia Lebel l'a longuement questionné sur sa présence en 1991 à un mariage au sein du monde interlope, à une demande de financement électoral à un mafieux notoire et à l'existence d'une photo de lui avec le parrain Vito Rizzuto.

Alors qu'il était maire de Saint-Léonard, Frank Zampino dit qu'il recevait chaque année de 40 à 50 invitations à des mariages. S'il refusait la majorité d'entre elles, il a accepté d'assister à l'été 1991 au mariage du fils de Frank Cotroni et de la fille de Joe Di Maulo. À l'époque, les deux étaient des membres notoires de la mafia montréalaise, surtout depuis le passage du premier à la CECO et la condamnation du frère du second pour trafic de cocaïne.

Frank Zampino n'a clairement pas apprécié que la procureure Sonia Lebel évoque cette histoire. «Je prends offense à ce qu'on insinue que j'ai participé à ce mariage avec des intentions», s'est-il indigné. Il a toutefois reconnu plus tard que «c'était pas la décision la plus brillante du siècle, mais il n'y avait pas d'arrière-pensée».

L'avocat n'en avait pas terminé pour autant puisqu'elle a rapidement demandé au témoin s'il avait écrit une lettre dans les années 1990 à Jimmy Di Maulo  pour obtenir du financement électoral. «Je n'ai aucun souvenir de ça, si vous avez un document, je peux regarder», a simplement répondu Zampino. Il s'est rapidement embourbé dans ses explications. «Je ne confirmerai pas non plus que je ne peux pas l'exclure.»

Bien vite, l'ex-président du comité exécutif a demandé à voir le document, ce à quoi s'est refusée pour l'instant la procureure. «Si ce document existe, c'est possible de le déposer ?» a demandé Zampino. «Je vais décider de déposer les documents en ma possession en temps et lieu. Vous verrez ce document en même temps que tout le monde», a refusé Me Lebel.

Elle a plutôt enchaîné en lui demandant s'il existait une photographie de lui avec Vito Rizzuto, défunt parrain de la mafia montréalaise. Encore une fois, l'avocate n'a pas déposé celle-ci. Zampino a admis qu'il était possible qu'un tel document existe, disant qu'il ait pu le croiser lors d'événements publics.

Campagne à la Commission

Signe de l'importance du témoignage de Zampino, un candidat à la mairie de Montréal a décidé d'en profiter pour se présenter dans la salle d'audience. Richard Bergeron dit être venu pour voir la Commission «tourner la page sur une époque. Et c'est aujourd'hui que ça se passe. Le témoignage de M. Tremblay sera assez secondaire. Tout le monde le sait, c'est Zampino qui avait le pouvoir à Montréal», a-t-il déclaré.

Richard Bergeron dit espérer du témoignage de l'ex-maire. «Tremblay fait partie de l'histoire ancienne de Montréal, un passé assez embarrassant et honteux. Maintenant qu'on aura l'explication complète, il faut regarder en avant.»

Ignorant des élections clé en main

Me Lebel, qui mène l'interrogatoire, a débuté sur les chapeaux de roue, questionnant Frank Zampino sur sa connaissance des élections clé en main. Celui-ci a dit qu'il en ignorait tout du temps où il était en politique municipale. Il dit avoir appris l'existence de la pratique seulement par le biais des journaux et des enquêtes du Directeur général des élections.

Celui qu'un témoin a décrit comme «l'homme le plus puissant de Montréal» a commencé ce matin son témoignage devant les commissaires France Charbonneau et Renaud Lachance. La procureure en chef, Sonia Lebel, a rapidement confronté le témoin sur sa connaissance de la pratique des élections clé en main, répandue dans les années 1980 au Québec.

Me Lebel a souligné que Frank Zampino a été élu pour la première fois en 1986, comme conseiller municipal, alors que les principaux organisateurs électoraux de son parti étaient Claude Dumont et Bernard Trépanier.

Claude Dumont, aujourd'hui décédé, traîne la réputation d'avoir organisé des élections clé en mai. Bernard Trépanier a quant à lui reconnu devant la commission Charbonneau avoir longtemps été un spécialiste des élections clé en main. C'est d'ailleurs lors de cette élection que les deux hommes ont débuté leur relation, qui les mènera à l'hôtel de ville de Montréal, puis devant les tribunaux, tous deux accusés de malversations dans le scandale du Faubourg Contrecoeur.

Malgré «l'expertise» des deux hommes, Frank Zampino assure qu'il n'a jamais entendu des élections clé en main à l'époque. «Vous avez été dans le milieu de la politique longtemps et vous avez appris par les journaux des élections clé en main?»

Les doutes de la procureure sont d'autant plus importants qu'en 1990, c'est Claude Dumont qui organise la campagne électorale grâce à laquelle Zampino deviendra maire de la Ville de Saint-Léonard.

Loin de se montrer repentant, Frank Zampino dit être fier du travail qu'il a accompli à Montréal. «C'était une ville dysfonctionnelle qu'on a prise en main en 2002», dit Zampino. Or, il dit avoir quitté une ville en santé en 2008.