Après des mois à enquêter sur la collusion à Montréal, la commission Charbonneau s'apprête à clore le dossier montréalais en s'attaquant au sommet de la pyramide. Avant de «sortir de l'île», l'enquête publique entendra la semaine prochaine l'ex-maire Gérald Tremblay et son ancien bras droit, Frank Zampino, a appris La Presse.

Poussé à démissionner en raison du feu roulant de révélations éclaboussant son administration, Gérald Tremblay aura l'occasion de se défendre des témoignages qui l'accusent d'avoir fait preuve d'aveuglement sur la collusion et la corruption dans son hôtel de ville. L'ex-maire a maintes fois manifesté son désir d'être entendu. «La vérité, je l'ai transmise à la commission Charbonneau. Je n'ai malheureusement pas la possibilité de me défendre parce que je ne fais pas partie du plan de match de la commission - du moins à court terme», avait-il déploré au moment d'annoncer sa démission, le 5 novembre dernier.

Après avoir longtemps nié les malversations révélées dans les médias, l'ex-maire avait décidé de quitter son poste en disant espérer «qu'un jour, on reconnaisse que je me suis battu, très souvent seul, contre ce système, cette collusion et cette corruption qui pourtant, selon les révélations de la commission Charbonneau, existaient depuis au moins 1988».

Avant d'entendre Gérald Tremblay, l'attention des commissaires France Charbonneau et Renaud Lachance se tournera toutefois vers Frank Zampino, celui que plusieurs ont identifié comme le vrai patron à l'hôtel de ville. L'ingénieur Rosaire Sauriol, de Dessau, a d'ailleurs qualifié celui qui était président du comité exécutif de 2002 à 2008 de «l'homme le plus puissant de Montréal», cette semaine devant la Commission.

Deschamps et Trépanier

C'est une semaine toute Union Montréal qui s'annonce ainsi à la Commission. Le trésorier du parti, Marc Deschamps, doit terminer lundi le témoignage qu'il a commencé jeudi après-midi. Ce comptable doit notamment défendre les vérifications qu'il a effectuées pour s'assurer de la conformité des dons reçus par sa formation. Plusieurs témoins ont affirmé ces derniers mois, lors des audiences publiques, avoir contribué illégalement à la caisse électorale de la formation, tant par des prête-noms que de l'argent comptant.

Sans surprise, l'ancien responsable des finances d'Union Montréal, Bernard Trépanier, suivra. Il sera vraisemblablement entendu mardi, selon son avocat, Me Daniel Rock. «C'est ce que la Commission nous a confirmé», a-t-il dit à La Presse. Ce dernier a également précisé que la Commission avait demandé à son client de produire certains documents lors de son témoignage.

Plus d'une dizaine de témoins ont affirmé sous serment avoir remis des milliers de dollars en argent comptant à Bernard Trépanier pour Union Montréal. Le total de contributions illégales se chiffrait à plusieurs millions de dollars. Plusieurs entrepreneurs en construction et dirigeants de firmes de génie ont corroboré l'existence d'un système par lequel ils remettaient à Union Montréal 3% des contrats obtenus auprès de la Ville, d'où son surnom de «Monsieur 3%».

C'est une fois le témoignage de M. Trépanier terminé que la Commission prévoit entendre Frank Zampino et Gérald Tremblay. Un porte-parole de la Commission a refusé de confirmer les informations de La Presse. «On va annoncer les témoins au fur et à mesure», a déclaré Richard Bourdon. Il a été impossible de joindre les deux anciens élus pour obtenir leurs commentaires à l'aube de leur témoignage.

Clore le chapitre montréalais

Selon nos informations, la Commission souhaite terminer le témoignage de Gérald Tremblay jeudi pour mettre une fois pour toutes fin au long chapitre ouvert sur Montréal en septembre dernier. La fin de ce dossier permettrait ainsi de lancer l'enquête publique sur de nouvelles pistes après la pause de deux semaines prévue au début du mois d'avril.

Les audiences publiques feront en effet relâche jeudi pour reprendre le 15 avril. Les travaux devraient ensuite se poursuivre jusqu'à la Saint-Jean-Baptiste au rythme habituel, soit de quatre jours par semaine, trois semaines sur quatre. Les audiences pourraient être prolongées d'une semaine après la Saint-Jean-Baptiste si les travaux prennent trop de retard d'ici la pause estivale.

- Avec la collaboration de Kathleen Lévesque

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Ordre prévu des témoins :

Marc Deschamps

Bernard Trépanier

Frank Zampino

Gérald Tremblay

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Trois témoins-clés :

Bernard Trépanier

Surnommé «Monsieur 3%» en raison du stratagème qu'il aurait mis en place à Montréal, Bernard Trépanier a été montré du doigt par de nombreux témoins depuis le début de la commission Charbonneau pour son rôle central dans la collusion dans la métropole. Responsable du financement d'Union Montréal, il a officiellement quitté son poste en juin 2006, mais a continué à jouer ce rôle au moins jusqu'en 2009, selon de nombreux témoins entendus. Il a été arrêté par l'Unité permanente anticorruption pour son rôle dans le scandale du Faubourg Contrecoeur. Une partie de son témoignage risque d'être frappée d'une ordonnance de non-publication afin de ne pas nuire au procès des accusés dans cette affaire. Le nom de Bernard Trépanier a été prononcé à 1465 reprises depuis le début de la commission Charbonneau.

Frank Zampino

Longtemps bras droit du maire Gérald Tremblay, Frank Zampino était le véritable patron à l'hôtel de ville de Montréal, selon plusieurs témoins entendus devant la commission Charbonneau. Nommé président du comité exécutif de la métropole en 2001, il démissionne en mai 2008 après avoir séjourné à deux reprises sur le luxueux bateau de l'entrepreneur Tony Accurso. Arrêté par l'UPAC pour son rôle dans le scandale du Faubourg Contrecoeur, une partie de son témoignage risque aussi d'être frappée d'une ordonnance de non-publication. Les 55 témoins entendus depuis le début de la commission Charbonneau ont prononcé son nom à 772 reprises.

Gérald Tremblay

Aucun témoin n'a accusé l'ex-maire d'avoir trempé dans le système de collusion. Il a toutefois été montré du doigt pour son aveuglement - volontaire selon l'un de ses anciens organisateurs politiques - devant la collusion et la corruption à hôtel de ville. Selon l'ingénieur Rosaire Sauriol, Bernard Trépanier se moquait même ouvertement du manque de vigilance de Gérald Tremblay vis-à-vis du trucage des appels d'offres. Signe du rôle mineur que Gérald Tremblay semble avoir joué, son nom a été prononcé seulement à 35 reprises depuis le début de la commission Charbonneau.