L'entrepreneur Nicolo Milioto s'est défendu devant la commission Charbonneau d'avoir offert des pots-de-vin à des fonctionnaires. Il assure qu'il n'a offert que de «petits plaisirs» - bouteilles de vin, repas au restaurant - sans rien attendre en retour.

Après avoir été longuement questionné mercredi sur ses liens avec la mafia, Nicolo Milioto a dû cette fois expliquer sa grande proximité avec plusieurs fonctionnaires. Il a admis qu'il avait été très près d'au moins trois d'entre eux: Luc Leclerc, Gilles Vézina et Robert Marcil. Mais il soutient que, s'il soignait ses «relations d'affaires» avec eux, il ne leur offrait pas d'argent.

«Nick Milioto n'a jamais donné d'enveloppe à personne», a-t-il martelé.

Quant aux nombreux témoignages entendus par la Commission sur son rôle dans le partage des contrats, Milioto a tout nié en bloc: «Moi, je vous donne ma vérité, je suis ici pour vous donner ma version de la vérité. Moi, j'ai jamais truqué de contrat.»

Lors de son témoignage, en octobre, l'ingénieur Luc Leclerc avait déclaré qu'il avait reçu des centaines de milliers de dollars en pots-de-vin de la part d'entrepreneurs en construction. Il a également reçu des cadeaux sous forme de services, notamment lors de la construction de sa maison, à Brossard.

Nicolo Milioto a reconnu ce matin qu'il avait envoyé deux ou trois employés pour couler une dalle de béton à la résidence de celui qui a surveillé au nom de la Ville des chantiers de Mivela Construction d'une valeur totale de près de 17 millions de dollars. «J'ai envoyé deux gars et je sais pas ce qu'il ont fait», a dit Milioto. Aucune facture n'a été envoyée à Luc Leclerc. «C'est comme des petits plaisirs, ça.»

Milioto assure qu'il n'a pas «acheté» l'ingénieur pour si peu - ces travaux ont été évalués sommairement à 2000$. «C'est exagéré, qu'un gars se fait acheter pour deux heures de travail... Entre Italiens, on fait ça», s'est défendu Milioto. Me Lebel a aussitôt rétorqué que Leclerc n'est pas italien.

La procureure a fait valoir que, chaque fois que Mivela décrochait un contrat, il s'ensuivait une avalanche d'appels entre les deux hommes, signe que le fonctionnaire exigeait de l'argent contre son service cinq étoiles. Le témoin n'a manifestement pas aimé cette déduction. Il a trouvé «inacceptable» que Me Lebel laisse entendre que Luc Leclerc l'a appelé 109 fois pour obtenir e l'argent.

Nicolo Milioto a de plus expliqué qu'il invitait à l'occasion des fonctionnaires au restaurant pour accélérer le paiement de ses contrats, les retards étant un problème récurrent à la Ville de Montréal. «Ils nous donnaient comme raison qu'ils n'avaient pas le temps de faire les papiers pour qu'on soit payés, alors je leur disais: "On va aller manger. De toute façon, il faut que tu manges, tu vas me remplir les papiers."»

Leclerc n'était pas le seul à recevoir ces invitations. Milioto a déclaré qu'il avait une liste de tous les surveillants de chantier, même ceux avec qui il n'a pas travaillé. La juge France Charbonneau lui a demandé ce document, mais il a répondu que, s'il ne l'avait pas détruit, des informations en avaient été effacées.

Pas de 2,5%

Plus tôt ce matin, tout comme il a nié avoir perçu un pizzo auprès d'entrepreneurs en construciton, Milioto a nié avoir collecté 2,5% de la valeur des contrats qu'ils décrochaient pour le financement d'Union Montréal, comme l'a affirmé Lino Zambito.

Milioto a de plus nié avoir déjà suggéré à d'autres entrepreneurs d'organiser un système de collusion dans le domaine de l'aménagement des parcs. Il a donc réfuté les propos tenus l'automne dernier par l'entrepreneur Michel Leclerc, de Terramex.

M. Leclerc avait soutenu que Milioto l'avait fait venir à son bureau et lui avait conseillé de s'entendre avec d'autres entrepreneurs du secteur de l'aménagement des parcs pour obtenir de meilleurs prix.

Terramex a tenté en vain de percer le marché montréalais, avant de se résigner à travailler en sous-traitance pour Mivela et d'autres entreprises du secteur des trottoirs.

Nicolo Milioto a été désigné par d'autres témoins comme l'intermédiaire entre le clan Rizzuto et le cartel des entrepreneurs en construction de Montréal. Il a lui-même témoigné de sa grande proximité avec le patriarche du clan, Nick Rizzuto, avec qui il jouait régulièrement aux cartes et faisait des promenades.

Hier, M. Milioto a nié qu'il y ait eu collusion entre les entreprises de construction de trottoirs dans les années 2000 à Montréal, malgré ce qu'ont affirmé d'autres témoins devant la Commission.

La procureure chef de la Commission, Me Sonia Lebel, lui a demandé pourquoi, des 53 entreprises qui, de 1996 à 2011, sont allées chercher au moins une fois un document de soumission à la Ville de Montréal, 45 ont peu à peu cessé de le faire ou ont disparu.

À la fin, il n'en restait plus que cinq ou six, dont les propriétaires fréquentent tous le Café Consenza, considéré

comme le quartier général de la mafia montréalaise à une certaine époque, proviennent du même village, Cattolica Eraclea, en Sicile.

«C'est parce qu'on est plus performants», a avancé M. Milioto.

Dès 1997, un rapport soulevait des problèmes dans des contrats à Montréal

Dès 1997, un rapport du Vérificateur de la ville de Montréal soulevait des problèmes quant aux contrats de réfection des routes, des problèmes sur lesquels la commission Charbonneau s'est penché aujourd'hui.

Guy Desrosiers, un analyste-enquêteur à la commission Charbonneau, comptable agréé de formation, a commencé son témoignage, jeudi après-midi.

Il en ressort que dès 1997, un premier rapport soulevait des problèmes quant au système d'évaluation des coûts des travaux, appelé Gespro, d'autres problèmes quant à l'évaluation des contingences (une sorte de réserve pour les imprévus), les appels d'offres, la gestion des contingences ainsi que la surveillance des chantiers, a relaté l'analyste Desrosiers.

Après ce rapport du Vérificateur général de la ville, pourtant, le service des travaux publics s'était engagé à mettre en oeuvre l'ensemble des recommandations du rapport.

Étonnamment, en 2001, un second rapport a révélé que sur l'ensemble des recommandations formulées en 1997, seules deux avaient connu des progrès, soit celles portant sur les clauses des garanties à demander sur les travaux effectués par les entrepreneurs, a expliqué M. Desrosiers.

Et en 2004, quatre ingénieurs provenant de l'externe ont reçu le mandat de déterminer s'il était vrai que le coût des travaux exécutés à Montréal était plus élevé que dans d'autres villes du Québec. Fait à noter, bien qu'ils aient reçu leur mandat de la Ville, ils n'ont pas pu avoir accès à la banque de données de la Ville pour faire une étude comparative des coûts.

M. Desrosiers doit poursuivre son témoignage lundi.

- Avec Lia Lévesque, La Presse Canadienne