La commission Charbonneau s'est efforcée de démontrer aujourd'hui que les entrepreneurs siciliens ont monopolisé le marché des trottoirs à Montréal au cours des années 2000. L'entrepreneur Nicolo Milioto continue néanmoins de nier l'existence d'un cartel lié au clan Rizzuto.

Pas moins de 53 entreprises ont répondu aux appels d'offres de la Ville de Montréal de 1996 à 2011. Mais du nombre, six ont remporté plus de 90% de ces contrats, révèle une compilation de la Commission.

> Tableau comparatif de la Commission (PDF)

La procureure Sonia Lebel a souligné, lors du témoignage de l'un de ces entrepreneurs, Nicolo Milioto, que ces entreprises étaient toutes propriétés de Siciliens, tous originaires du même petit village, Cattolica Eraclea, d'où vient également le défunt parrain de la mafia montréalaise, Nicolo Rizzuto.

Des 401 contrats adjugés par Montréal de 1996 à 2011, seulement 34 (soit moins de 10%) l'ont été aux 47 entreprises n'appartenant pas à des Siciliens. Me Lebel a d'ailleurs souligné que 45 d'entre elles ont rapidement cessé de soumissionner, laissant le champ libre aux entrepreneurs siciliens.

En 1996, il y avait de 8 à 13 soumissionnaires à chacun des appels d'offres. En 2009, ils n'étaient plus que de 4 à 6, toujours des siciliens.

«Comment expliquez-vous la disparition de toutes ces entreprises et la prédominance des entrepreneurs orginaires de Cattolica Eraclea et qui fréquentaient le Consenza ?» a demandé Me Lebel.

«Je ne vois pas de lien avec l'origine sicilienne et le fait qu'on fréquente le Consenza. Probablement qu'on est plus performants. C'est ouvert à tout le monde.»

«Votre survie n'est pas due à votre entente ? Votre survie n'est pas due au fait que vous ayez fermé le marché ? Votre survie n'est pas due au fait que vous ayez un lien avec le crime organisé, qui vous aide à fermer ce marché ?» À chaque question, Milioto a répondu par un bref «non madame».

Pas d'avantage

L'entrepreneur Nicolo Milioto a par ailleurs nié devant la commission Charbonneau avoir tiré avantage de sa proximité avec le clan Rizzuto. Mais pour la première fois, il a reconnu qu'il avait «encaissé» de l'argent une fois, même s'il continue à dire qu'il n'a jamais servi d'intermédiaire entre la mafia et les entrepreneurs en construction de Montréal.

Averti à deux reprises mardi qu'il s'exposait à des accusations d'outrage au tribunal, Milioto a semblé un peu plus coopératif ce matin. Il a reconnu qu'il avait accepté une fois de l'argent de Nicolo Rizzuto. «Je n'ai jamais profité de cet argent personnellement», a-t-il toutefois assuré.

Pour la première fois, il a également accepté de dire à qui il avait livré de l'argent : Francesco Catania, non sans hésiter longuement. Il a même demandé, à un moment, que son micro soit fermé.

«Êtes-vous en train de me dire que vous seriez plus enclin à parler à micro fermé?», lui a demandé la juge Charbonneau. «Pas vraiment...», a rétorqué Milioto.

Le commissaire Renaud Lachance a quant à lui eu plus de succès à faire parler le témoin. Il l'a longuement questionné sur sa relation avec Nicolo Rizzuto, ce matin. Il s'est notamment étonné du fait que  l'entrepreneur Paolo Catania avait passé par Milioto pour inviter les hauts dirigeants du clan sicilien à la fête de retraite de son père, Francesco Catania. «Je n'ai jamais caché que je connaissais les Rizzuto, et tout le monde le savait. Je ne sais pas pourquoi on m'a appelé, mais j'ai fait le travail», a simplement dit Milioto.

Soulignant que côtoyer la mafia risquait d'être préjudiciable pour un entrepreneur, le commissaire Lachance lui a demandé s'il continuait à fréquenter Rizzuto parce qu'il tirait avantage de cette relation. «Je n'avais aucun avantage», s'est borné à dire l'entrepreneur.

Nicolo Milioto s'est défendu d'avoir appartenu au crime organisé. Il a soutenu qu'il s'était laissé entraîné dans leurs affaires à son insu, en acceptant de rendre quelques menus services. «C'est devenu une routine et j'ai embarqué - ça peut paraître niaiseux - sans savoir pourquoi.»

Milioto a tenu à défendre la mémoire du défunt patriarche du clan sicilien. «Rizzuto était un homme bon avec moi. Je le respectais.»

Il ne regrette pas de l'avoir longtemps côtoyé, mais simplement d'avoir manipulé son argent.

La juge France Charbonneau a demandé à Milioto d'expliquer pourquoi il a déclaré hier: «Si vous me maltraitez, je peux vous maltraiter de la même façon.» Il a dit qu'il s'était mal exprimé et que l'expression n'est pas péjorative en Italien. «Je me suis mal exprimé, peut-être qu'en français ça veut dire autre chose.»

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