Les trous de mémoire répétés et les réponses évasives de l'entrepreneur Nicolo Milioto devant la Commission d'enquête sur l'industrie de la construction pourraient lui valoir un séjour en prison. La juge France Charbonneau lui a donné deux avertissements, hier, pour les nombreuses imprécisions de son témoignage et l'a prévenu qu'il s'exposait à une accusation d'outrage au tribunal.

«Les propos vagues et imprécis peuvent parfois être de la nature d'un outrage au tribunal», lui a lancé la juge Charbonneau en début d'après-midi. Plus tôt en matinée, elle avait invité son avocat, Me Robert Doré, à expliquer à son client ce que représentait un outrage au tribunal et un parjure, ainsi que leurs conséquences. Nicolo Milioto venait alors de refuser de répondre à la procureure en chef, Me Sonia Lebel. «Je n'ai pas à répondre à vos questions.»

L'outrage au tribunal est passible d'une amende maximale de 50 000 $, assortie ou non d'une peine de prison d'au plus un an. Le parjure peut valoir à son auteur un maximum de 14 ans d'emprisonnement.

Pendant toute la journée de mardi, Me Sonia Lebel a talonné Nicolo Milioto sur ses liens avec la mafia montréalaise. Elle a présenté de nombreuses vidéos filmées par la Gendarmerie royale du Canada au café Consenza, dans lesquelles on peut le voir échanger et compter des liasses d'argent avec le défunt chef mafieux Nicolo Rizzuto Sr, assassiné en novembre 2010. Des échanges d'argent ont aussi eu lieu avec l'un des lieutenants du clan sicilien, Rocco Sollecito, et avec Alex Sciascia, ancien président de l'Association Cattolica Eraclea - du nom du village dont sont originaires les Rizzuto et la majorité des entrepreneurs en construction de Montréal.

Nicolo Milioto a maintes fois critiqué le manque de clarté des vidéos et leur absence de mise en contexte. Il s'est également défendu en disant qu'il livrait de l'argent à Nick Rizzuto simplement parce qu'il est quelqu'un de «serviable». Il ne s'est jamais questionné sur l'origine et l'utilisation des fonds qui transitaient par ses chaussettes.

La procureure Lebel a suggéré que M. Milioto ne contestait pas les livraisons parce que, dans la mafia, on ne questionne pas le chef. Elle a également souligné qu'il remettait la plupart du temps l'argent à un lieutenant du clan, Rocco Sollecito, alors qu'il affirmait qu'il était destiné à Nicolo Rizzuto. Comment pouvait-il s'assurer que l'argent se rendrait bien? «Entre Italiens, on se fait confiance.»

Vagues regrets

Nicolo Milioto a néanmoins maintenu sa version selon laquelle il servait de simple «facteur». Ainsi, lorsque l'entrepreneur Lino Zambito lui donnait des liasses d'argent à remettre aux Rizzuto, celui que plusieurs surnomment «M. Trottoir» présumait que celui-ci remboursait tout simplement un prêt.

En fin de journée, M. Milioto a fini par dire qu'il regrettait d'avoir ainsi livré de l'argent. Il est toutefois resté évasif sur ce qu'il regrettait précisément. «C'est peut-être l'erreur de ma vie. Je ne suis pas fier, mais je l'ai fait. Des fois, une erreur peut gâcher 45 ans de carrière. Si c'était à refaire, je ne le referais pas. À ce moment, je ne pensais pas que c'était un péché d'apporter de l'argent. Je pensais que c'était banal, c'était un service», a-t-il affirmé.

Nicolo Milioto prétend qu'il croyait que Lino Zambito avait contracté un prêt parce qu'il a lui-même, à une occasion, emprunté entre 15 000 $ et 20 000 $ au patriarche sicilien pour payer le mariage d'une de ses filles. La procureure s'est étonnée du fait que cet entrepreneur prospère ait dû emprunter de l'argent à un chef mafieux plutôt qu'à une institution bancaire. Celui-ci a aussitôt rétorqué que Nicolo Rizzuto ne lui facturait pas d'intérêts.

La mafia, c'est quoi?

Le témoin s'est montré récalcitrant toute la journée, allant jusqu'à dire qu'il ignore ce qu'est la mafia. «La mafia, est-ce que c'est quelqu'un qui tue, quelqu'un qui vole, quelqu'un qui vend de la drogue? Je sais pas.»

Nicolo Milioto a toutefois reconnu qu'il sait très bien ce que signifie le mot «omerta». «Ça veut dire que tu parles pas», a-t-il répondu. «Ça, vous le savez», a relevé la juge Charbonneau.

M. Milioto a expliqué qu'il n'a pas beaucoup questionné ses amis italiens qui fréquentaient le Consenza. «Pour moi, a-t-il ajouté, ce que les autres personnes font, ce n'est pas de mes affaires. Qu'ils travaillent dans la construction, qu'ils soient avocats, qu'ils soient ingénieurs, pour moi, le monde est tout pareil. Vous me respectez et je vous respecte. Vous me maltraitez, je peux vous maltraiter.»

La présidente de la Commission a invité sur-le-champ Nicolo Milioto à expliquer ces propos. Ce dernier a assuré qu'il ne voulait pas menacer la procureure qui l'interrogeait.