L'entrepreneur Joe Borsellino s'est posé en victime du financement politique, ce matin lors de la poursuite de son témoignage devant la commission Charbonneau. Le président de Construction Garnier affirme que les partis ont profité du désir des entrepreneurs en construction de réseauter avec ingénieurs et avocats pour garnir leurs coffres.

Toujours évasif depuis le début de son témoignage, Giuseppe (dit Joe) Borsellino continue à se montrer vague et se contredit souvent. Borsellino a confirmé avoir participé fréquemment à des activités de financement politique, mais affirme avoir cessé, estimant que ce n'était pas «éthique».

«Nous ne contribuons plus parce que nous sommes en conflit d'intérêts. Nous cherchons à obtenir des contrats gouvernementaux et les partis politiques utilisent ça pour collecter des fonds. Cette idée [des cocktails de financement] nous a été vendue. ''Les ingénieurs et les avocats vont être là...'' En réalité, c'était le modèle d'affaire des partis. Nous avons arrêté par ce que ce n'est pas éthiquement correct.»

L'entrepreneur dit qu'il voulait prendre part à ces activités pour rencontrer les ingénieurs et avocats avec qui il était appelé à faire des projets. «Quand on va à ces cocktails, il y a les firmes de génie, les firmes d'avocats, les promoteurs. C'est très bon pour le réseautage», a-t-il expliqué. «Notre idée du financement était de se rapprocher de ce monde-là, c'était important d'être présent, d'avoir bonnes relations de travail.»

Puis, il a laissé tomber que «je pensais que c'était important que partis politiques me voient.» Il a précisé avoir commencé à participer aux activités du Parti libéral du Québec vers 2002-2003.

Pourtant quelques minutes plus tard, il assurait que sa participation «n'avait rien à voir avec les partis et les gens en politique». Il a indiqué vouloir simplement apprendre à connaître les ingénieurs et avocats avec qui il était appelé à brasser des affaires.

Borsellino a confirmé avoir contribué à la plupart des partis. Dans la métropole, il a offert des dons à Union Montréal et Vision Montréal. Au provincial, il a donné au Parti libéral du Québec, au Parti québécois et l'Action démocratique du Québec. Il affirme toutefois que la sollicitation a cessé vers 2007 ou 2008, sans préciser pourquoi.

Borsellino a admis connaître Bernard Trépanier (grand argentier d'Union Montréal). Il a assuré l'avoir toujours rencontré «par hasard» à au moins une dizaine de reprises dans l'un des 3 888 restaurants de Montréal. Plus tard, le procureur responsable de son interrogatoire, Me Simon Tremblay, a toutefois démontré que les deux se sont appelés à 5 reprises en 2005, année électorale à Montréal.

L'entrepreneur a commencé par assurer avoir toujours fait ses dons par chèque au municipal, mais fini par reconnaître qu'il a pu verser quelques centaines de dollars en argent comptant pour acheter des billets à des activités.

Au provincial, Borsellino affirme qu'il recevait des invitations de Michel Lalonde pour participer aux activités du PQ et d'André De Maisonneuve, de BPR-Triax, pour le PLQ.

«Je n'ai jamais donné d'argent comptant à aucun parti», a-t-il assuré, disant avoir toujours fait des chèques. Au contraire, reconnaissant qu'il connaissait mal les règles de financement au départ, les partis lui retournaient parfois des chèques ne respectant pas les règles en place.

Depuis le début de son témoignage, il a glissé en plusieurs occasions qu'il participait à des activités de financement. C'est notamment lors de tels événements qu'il dit avoir connu l'ingénieur Michel Lalonde, le président de la firme de génie Génius.

Dans le registre du DGE

Le registre des donateurs du Directeur général des élections recense des 35 000$ au nom de Giuseppe Borsellino. Mais attention, il existe au moins trois Giuseppe Borsellino oeuvrant dans le milieu de la construction, soit le président de Construction Garnier, celui de BP Asphalte et celui du Groupe Petra.

Le principal bénéficiaire des Giuseppe Borsellino a été le Parti libéral du Québec qui a reçu 29 050$. Le Parti québécois a pour sa part reçu 3500$ avant 2004. La défunte Action démocratique a quant à elle reçu 2500$ lors de la campagne de 2007.

Ami de Tony Tomassi

Un enregistrement présenté mardi devant la Commission permet de comprendre que Borsellino entretenait des liens de proximité avec l'ex-ministre de la Famille, Tony Tomassi.

Extrait :

>Borsellino «Ouais, un de mes... mes compare y'est venu avec sa famille. Hier... hier, j'tais avec euh... mon chum, on a fait une p'tite affaire pour Tony Tomassi encore.

>Dupuis : Oui, oui, oui. OK.

>Borsellino : Ça... là, écoute... ça va ben.

>Dupuis : Ça va ben, oui?

>Borsellino : Ça va ben. Faut... tout le monde... tout le monde est après lui. Y... y m'fait rire. (rires)

>Dupuis : Oui, hein!

>Borsellino : Ah! Y dit, avant y s'cherchait tout le temps... tout le monde se cherchait des pions, là sont après moé. C'est drôle en... en Christ! Ah! Oui, oui. Ben tout le monde va l'approcher. Y'est au conseil des ministres, faque.»

Liens avec la mafia

Mercredi, M. Borsellino a dû expliquer pourquoi il a été sévèrement battu par trois hommes en juillet 2009, mais qu'il n'a jamais porté plainte à la police. Il a affirmé ne pas savoir pourquoi il a été battu, mais a admis du bout des lèvres que «ça pourrait être relié à la mafia».

M. Borsellino a dû être opéré pendant sept heures pour reconstruire son visage, mais il n'a pas porté plainte à la police, parce que sa première préoccupation était de se faire «réparer» pour rentrer au travail, a-t-il affirmé aux commissaires Renaud Lachance et France Charbonneau.

Interrogé sur le pourquoi de cette raclée, M. Borsellino est resté évasif. «J'ai peut-être été à la mauvaise job», «ça pourrait être relié à la mafia» ou à «des investissements» ou «peut-être que je n'ai pas payé un compte», a-t-il avancé.

Les commissaires ont eu beau le mitrailler de questions pour le faire parler sur l'implication de la mafia dans l'industrie de la construction, il a simplement dit être au courant du fait qu'il y a de l'infiltration d'entreprises par la mafia, mais pas la sienne. Et il ne fait pas affaires avec ces gens-là. Et si on lui demandait de payer une quote-part de ses contrats, il préférerait donner les clefs de son entreprise, a-t-il affirmé.

M. Borsellino a toutefois dû admettre qu'il connaissait Vito Rizzuto, son père et son fils, et qu'il a même assisté au mariage du fils de Vito Rizzuto, Leonardo, en juin 1999.

-Avec La Presse Canadienne