La commission Charbonneau a plongé au coeur du financement illégal des partis avec le témoignage du président d'une firme de génie. Michel Lalonde, de Génius, a reconnu hier qu'il a versé, de 2005 à 2009, une ristourne de 3% de la valeur des contrats obtenus auprès de la Ville de Montréal au parti de l'ex-maire Gérald Tremblay.

Selon le président de Génius, anciennement le Groupe Séguin, les contributions aux partis étaient essentielles pour décrocher des contrats municipaux. Lors de son témoignage, Michel Lalonde a même affirmé qu'il a versé des contributions «en s'attendant à recevoir un retour sur investissement».

Longtemps proche de Vision Montréal, sous Pierre Bourque, Michel Lalonde a jugé bon de se rapprocher d'Union Montréal au lendemain de l'élection de Gérald Tremblay, en 2001. L'ingénieur a appelé une vieille connaissance, le conseiller Sammy Forcillo. L'élu a rapidement organisé une rencontre avec le président du comité exécutif, Frank Zampino, bras droit du maire.

Quelques mois plus tard, le président de Génius a eu un appel de Bernard Trépanier, responsable du financement d'Union Montréal. Michel Lalonde connaissait déjà le personnage, qu'il a côtoyé dans les activités de financement du Parti conservateur du Canada dans les années 90. C'est donc sans surprise qu'il a accepté son invitation à contribuer à Union Montréal en participant à des activités de financement.

À l'automne 2004, Bernard Trépanier lui a demandé d'en faire plus. Avec une contribution plus élevée, il pourrait ainsi «mieux [se] positionner pour certains projets». Il lui a alors réclamé 100 000$ afin de financer les élections prévues l'année suivante. Le responsable du financement d'Union Montréal a précisé qu'il s'agissait de la contribution demandée aux petites firmes - les grandes devaient quant à elles verser 200 000$.

Bernard Trépanier ne s'est pas arrêté là; il pensait déjà aux élections de 2009. Il lui a proposé de verser au parti 3% de la valeur des contrats qu'il obtiendrait de la Ville.

Michel Lalonde affirme qu'il a accepté les deux propositions.

Pour «régler ses engagements», l'ingénieur se rendait fréquemment dans les locaux d'Union Montréal pour remettre «discrètement» des enveloppes ou des valises pleines d'argent. Les versements avaient lieu dans le bureau de Bernard Trépanier, qui prenait bien soin de baisser les stores - ce qui corrobore une partie du témoignage de Martin Dumont. Michel Lalonde affirme qu'il a continué de payer Trépanier jusqu'en 2009, même si l'homme a officiellement quitté Union Montréal en juin 2006. «Ça n'a rien changé, ça a continué comme avant.»

Conscient de la collusion

Michel Lalonde a également affirmé qu'il était au courant qu'un système de collusion existait à Montréal parmi les entreprises de construction. «Des fois, les entrepreneurs nous en glissaient un mot: "tu sais, on s'arrange entre nous." On était conscients qu'il y avait collusion entre les entrepreneurs.»

L'ingénieur avait également constaté que les chantiers coûtaient beaucoup plus cher à Montréal que dans les autres municipalités. M. Lalonde, dont l'entreprise était très présente dans la couronne nord, estime que travailler dans une grande ville coûte de 5% à 10% plus cher. Or, dans la métropole, il juge que les entrepreneurs ont gonflé leurs prix de 25% à 30%.

Au début de son témoignage, Michel Lalonde a affirmé que les règles d'attribution des contrats ont favorisé l'apparition de «territoires» propres aux firmes de génie. «Avant 2001, tout était basé sur la compétence. Lorsqu'on était apprécié, on pouvait avoir des mandats de gré à gré», a expliqué M. Lalonde.

Même si les règles ont changé après les fusions municipales - on tenait désormais compte du prix -, les entreprises ont néanmoins conservé leurs «droits acquis», a indiqué l'ingénieur. Groupe Séguin/Génius a ainsi décroché l'essentiel des contrats de Pointe-aux-Trembles de 1981 à 2007. Sa firme était également «extrêmement présente» à Montréal-Est, Anjou, Ahuntsic-Cartierville et Saint-Laurent.

Encore beaucoup à dire

Les révélations de Michel Lalonde semblent loin d'être terminées. Depuis le début de la Commission, l'ingénieur, qui a été nommé à 109 reprises par les autres témoins, a été présenté comme un acteur important dans le partage des contrats et le financement illégal des partis.

L'ex-entrepreneur Lino Zambito a notamment affirmé, en octobre, que Lalonde l'avait obligé à acheter les tuyaux de la firme Tremca s'il voulait obtenir un contrat de la Ville de Montréal. En retour, l'entreprise de Saint-Jean-sur-Richelieu devait verser un pot-de-vin de 300 000$ à l'ancien directeur général de Montréal, Robert Abdallah. Ce dossier n'a pas encore été soulevé dans le témoignage de M. Lalonde.

Le nom de Michel Lalonde figure également 21 fois dans la liste des rencontres de l'entrepreneur Paolo Catania au club privé 357c. Il a notamment participé à plusieurs rencontres avec les principaux accusés dans le scandale du Faubourg Contrecoeur, dont Frank Zampino, ex-président du comité exécutif de Montréal, et Martial Fillion, ancien directeur général de la Société d'habitation et de développement de Montréal.

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100 000$

À l'automne 2004, Bernard Trépanier réclame cette somme à Michel Lalonde en vue des élections de 2005. L'ingénieur affirme qu'il a versé l'argent en 10 paiements, sur une période d'un an.

25%

Groupe Séguin recevait en argent comptant le quart des faux extras qu'elle réussissait à autoriser pour les entreprises de construction. Ces sommes servaient à financer les partis politiques.