Quand des allégations portent sur un élu, une commission d'enquête doit les entendre assez rapidement, soutient Me Simon Ruel, spécialiste des commissions d'enquêtes.

«Le préjudice à certaines catégories de personnes, comme des élus, peut être tel que ca pourrait requérir qu'ils soient entendus à plus brève échéance que d'autres témoins», rapporte celui qui a travaillé comme procureur dans cinq commissions d'enquête, dont Gomery et Bastarache. Me Ruel a aussi écrit un livre-référence, The Law of Public Inquiries in Canada.



Alors que le témoignage de Martin Dumont sur Montréal et l'ex-maire  Tremblay soulève la controverse, Me Ruel a accepté de répondre aux questions de La Presse sur les principes qui doivent gouverner une commission d'enquête.



Pour demeurer «indépendante et efficace», une commission ne doit pas «se faire dicter son agenda par des tiers». «S'il fallait entendre rapidement chaque personne qui est nommée, ça bouleverserait la stratégie de la commission, nuance-t-il. Probablement que la commission a divisé sa preuve par thème. Par exemple, pour suivre la chaîne de commandement, elle pourrait procéder de façon hiérarchique, et entendre toutes les allégations de certains témoins avant celles des gens qui ont une fonction politique.»



À la fin octobre, Gérald Tremblay demandait à la commission d'être entendu. Il a rencontré deux fois les enquêteurs, sans pouvoir témoigner aux audiences publiques. Me Ruel ne veut pas commenter ce cas particulier. «Mais quand on attaque des élus dans leur intégrité, je pense que ces gens-là devraient pouvoir être entendus relativement rapidement pour pouvoir répondre. Ils peuvent le faire à l'extérieur de la commission, mais ça n'a pas la même valeur aux yeux de la population», note-t-il.



Me Ruel explique aussi que les procureurs d'une commission d'enquête ne doivent pas «condamner ou présenter une version sans questionnement, comme si elles était avérée à sa face même». «On ne peut pas accepter une allégation de nature criminelle sans questionner les motivations du témoin et s'assurer qu'il est crédible. Ça doit être vérifié avant, et aussi durant les audiences publiques. Il faut s'assurer de bien challenger les allégations», explique-t-il.



Est-ce que ce fut le cas avec le témoin Dumont? «On peut se poser la question, répond-il prudemment. Il est arrivé parfois qu'on donne l'impression que les allégations ont peut être été acceptées un petit peu rapidement.» C'est particulièrement important selon lui dans le climat actuel de «perte de confiance» envers les institutions.



Me Ruel rappelle toutefois qu'il peut être «très difficile de corroborer tous les éléments» et de faire une «vérification totale».



La Presse lui a rapporté un extrait du livre The Conduct of Public Inquiries, écrit par Ed Ratushny, professeur émérite retraité de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa. «Il serait injuste, par exemple, que toutes les allégations soient présentées avant un long congé de Noel, et qu'elles puissent rester en suspens jusqu'à ce qu'une personne soit appelée à y répondre plusieurs semaines plus tard», y écrit le professeur.



Cela s'applique-t-il avec la liste des invités du club 357c, dévoilée juste avant le congé des Fêtes? La commission «n'a pas vraiment expliqué sa stratégie», note-t-il. «Faire cela avant la pause et quitter, ça a laissé deux moins de spéculation. À mon avis, ça semble une preuve qui aurait dû être déposée quand la commission était en séance pendant quelques semaines, et qu'il aurait été possible de mettre cette preuve en contexte assez rapidement avec d'autres témoins», estime-t-il.



Dangereuse porte ouverte



Me Ruel s'étonne que la commission a choisi elle-même de déposer en preuve sa vidéo d'interrogatoire avec Martin Dumont. «Il y avait manifestement un objectif. Il semble que le témoin a donné une version totalement contradictoire avec la version donnée (dans son témoignage initial). On a voulu le mettre en contradiction», dit-il.



Mais selon lui, la commissaire Charbonneau a ouvert «une porte dangereuse». «C'est un pari risqué. C'est inusité, c'est très rare, et on a vu pourquoi. Après avoir déposé une partie du processus interne de la commission, les participants visés sont en droit de questionner les éléments qui pourraient être préjudiciables à leurs clients. Une fois qu'on ouvre cette porte, elle est difficile à fermer.» D'autres demandes pour interroger les enquêteurs pourraient être faites, pense-t-il.



A RDI hier, l'ex-juge Suzanne Coupal a affirmé que la commissaire agissait «comme si elle voulait donner une leçon» à M. Dumont, et que même sans la vidéo, on pouvait prouver que le témoin n'avait pas dit la vérité en octobre dernier.



Me Ruel a récemment travaillé comme procureur dans une commission d'enquête au Manitoba qui se penchait sur les soins accordés à une jeune autochtone. Il a plaidé pour que la commission ne dévoile pas ses notes d'entrevue. «Une demande a été faite en ce sens et la commission, s'est objectée, pour protéger l'intégrité de son processus interne. C'était d'autant plus important que des promesses avaient été faites de ne pas révéler le contenu des interviews.»