Un membre du cartel des trottoirs et égouts de Montréal affirme que 3% de la valeur de ses contrats allait «au politique». L'entrepreneur Michel Leclerc affirme qu'il s'est joint au système de collusion en place au moins depuis 1996 après avoir été menacé.

Nerveux à l'idée de témoigner, le propriétaire de Terramex a demandé que son témoignage ne soit pas diffusé en direct à la télévision, mais seulement après son départ des bureaux de la Commission. Ce qu'il a à raconter sur le cartel des égouts permet de mieux comprendre sa nervosité.

Michel Leclerc a entendu parler dès 1996 d'un cercle fermé d'entrepreneurs qui manipulaient l'attribution des contrats de réfection d'égouts. Il raconte que, peu après avoir obtenu un tel contrat, il a reçu un appel d'une compagnie rivale, Construction Garnier. Son propriétaire, Joe Borsellino, se présente à ses bureaux pour lui dire qu'il a oublié de l'appeler et que le contrat lui revient. Il lui demande de se désister et lui offre 50 000$.

Le propriétaire de Terramex refuse. Quelques jours plus tard, Michel Leclerc vient de quitter le stationnement de son entreprise quand Joe Borsellino et un autre homme l'interceptent et montent à bord de son véhicule. Les trois ont une conversation «pas agréable», mais Leclerc ne cède pas.

Borsellino quitte le véhicule, furieux, et lui lance: «On va se revoir!» Quelques jours plus tard, ses bureaux font l'objet d'un appel à la bombe et des véhicules sont incendiés. «Drôle de coïncidence», a dit la procureure Me Sonia Lebel.

Entrepreneur pourchassé

Une situation plus inquiétante survient en juin 1997 quand la Ville lance un appel d'offres pour refaire la place Jacques-Cartier, en face de l'hôtel de ville. Cette fois, Joe Borsellino n'attend pas la fin de l'appel d'offres et téléphone à Michel Leclerc pour lui demander de ne pas soumissionner.

Le propriétaire de Terramex refuse. «C'est beau, on descend à vos bureaux», lui lance Borsellino. Prenant la menace au sérieux, Leclerc fait évacuer ses locaux et «disparaît» le temps d'un week-end.

Son rival le cherche et se présente même à une fête d'enfants qu'organise l'associé de Leclerc. Le lundi matin, une voiture de Garnier attend devant les locaux de Terramex. Inquiet, Leclerc n'entre pas au bureau jusqu'au dépôt des documents de l'appel d'offres. Il décroche finalement le contrat de 3,5 millions et n'entend plus parler de Borsellino.

Questionné sur ses raisons de résister, Michel Leclerc explique qu'«il fallait bien travailler»: «Si on se mettait à accepter leurs demandes, je ne pourrais plus travailler nulle part. Il faut se tenir debout.»

Milioto plus convaincant

Si Michel Leclerc a résisté à Joe Borsellino, il a toutefois plié devant Nicolo Milioto, de Mivela Construction. L'homme, qui serait le lien entre les entreprises du cartel et la mafia, selon la GRC, l'informe que les contrats de trottoirs doivent lui revenir. Comme il est «plus convaincant», il plie.

Terramex agit à titre de sous-traitant pour Mivela. Milioto lui demande de gonfler ses factures de 3% et de lui remettre cet argent comptant. Michel Leclerc explique que ces sommes étaient destinées «au politique», mais il n'a jamais eu d'autres explications.