Une vingtaine de dirigeants d'entreprises de construction oeuvrant dans la couronne nord de Montréal se sont rencontrés dans un hôtel de Blainville, en mai 2008, «pour tenter de mettre en place un système de collusion sur la Rive-Nord, comme ça se faisait à Laval et à Montréal».

Lors de son témoignage devant la commission Charbonneau, le mois dernier, Lino Zambito a dit qu'il était présent lors de la rencontre, organisée à l'initiative de M. André Durocher, président du Groupe Panthère, une firme de construction implantée à Blainville, à côté de Boisbriand.

«Il était assis à l'avant avec son frère et ils ont commencé à parler du fait que les entrepreneurs, on devrait se tenir, éviter de se déchirer comme on le faisait tout le temps, sur la couronne nord. Beaucoup de compagnies fermaient leurs portes parce que les prix n'étaient pas aussi bons qu'ailleurs», a raconté l'ancien dirigeant d'Infrabec.

Puis, ajoute-t-il, «M. Durocher a commencé à sortir la liste des appels d'offres en cours pour les prochains mois. Il a commencé à demander aux entrepreneurs lesquels avaient des intérêts pour tel ou tel projet. Excusez le mot anglais, mais il commençait à "dispatcher" des jobs».

Lorsque son tour est venu, M. Zambito affirme avoir dit qu'il avait déjà assez de travail et qu'il n'était pas intéressé.

Malhabile et suicidaire

En cours d'interrogatoire, la Commission Charbonneau a soulevé des questions sur l'état des relations entre MM. Zambito et Durocher. Le témoin est resté très vague sur la nature des différends qui l'auraient opposé à son compétiteur de Blainville à propos d'un contrat de déneigement.

La Presse a tenté de joindre M. Durocher pour obtenir sa version des faits, mais il n'a pas retourné nos appels.

Selon M. Zambito, ses sentiments à l'égard de M. Durocher n'étaient pas en cause dans son refus de s'associer à un cartel. C'est la manière qu'il trouvait «malhabile».

«C'est un peu suicidaire devant des gens qu'on connaît pas, de dire: "Bien, moi je vais prendre ce contrat-là", puis, je ne sais pas, 18 témoins... Je trouvais ça illogique leur façon de faire. À ma sortie de la réunion, j'étais convaincu que ça ne durerait pas deux ou trois mois leur stratagème et, en effet, ça ne s'est pas tenu.»

En septembre dernier, alors qu'il révélait les mécanismes du «cartel des égouts» de Montréal, M. Zambito a affirmé qu'en 10 ans d'activités, il n'est jamais arrivé que les dirigeants des 10 compagnies qui formaient ce cartel se retrouvent, tous en même temps, dans une seule et même pièce. Le cercle de collusion fonctionnait de manière informelle. Les ententes se prenaient en quelques coups de téléphone.

Les «gros» et les ingénieurs

Mais au moins deux autres facteurs militaient contre ce système de collusion: l'absence des «gros» et le poids des ingénieurs.

«Il avait appelé une vingtaine d'entrepreneurs, explique-t-il, mais pas les "gros". ABC Rive-Nord, Asphalte Desjardins, Simard-Beaudry n'étaient pas là. C'est bien beau de discuter entre nous, et décider quoi que ce soit, mais le jour où vous allez appeler ces gros-là et vous leur dites: "tasse-toi parce qu'on l'a décidé", je pense que la ligne va couper assez vite.»

De plus, le partage territorial qui existait entre les sociétés privées de génie-conseil dans les municipalités du nord, aurait fait obstacle à l'arrivée d'un nouveau venu qui n'est pas «impliqué» dans le financement politique local.

Selon lui, ce n'était pas aux entrepreneurs de décider qui travaillait, et à quel endroit. Il a expliqué que même si les entrepreneurs s'étaient tous mis d'accord pour que sa firme obtienne un contrat à Blainville, par exemple, ça «ne passait pas avec les bureaux d'ingénieurs et d'avocats».

«Si je ne n'ai pas été impliqué dans la campagne de financement, dit-il, à Blainville ou ailleurs, les professionnels se seraient assurés de me faire comprendre que je n'étais pas le bienvenu.»