La Ville de Montréal a complètement passé outre à des rapports internes qui signalaient une forte augmentation du coût des contrats de voirie au début des années 2000, au moment où un «cartel des égouts» se mettait en place pour déterminer les prix et l'attribution des mandats.

L'ingénieur à la retraite de la Ville de Montréal Gilles Surprenant, qui a été affublé du surnom de monsieur TPS par l'ancien entrepreneur Lino Zambito, a affirmé hier que les coûts des contrats dont il dessinait les plans ont soudainement bondi par rapport à des mandats semblables dans d'autres municipalités.

«Au début des années 2000, il y a eu un genre de crise économique, le prix du pétrole s'est mis à exploser. En même temps, les prix des contrats ouverts ont augmenté d'environ 20 à 25%. Ça avait causé un genre de commotion au bureau, tout le monde se demandait comment il se faisait qu'ils sortaient plus cher.»

Le phénomène a été attribué au coût de l'essence, affirme-t-il. «On voyait bien qu'il n'y avait pas seulement cela, mais qu'il y avait définitivement un système de collusion» pour favoriser un petit cercle formé d'une dizaine d'entrepreneurs de la région, dont M. Surprenant a dressé la liste.

À l'époque, a affirmé M. Surprenant, aucun geste concret n'a été fait pour analyser ou comprendre cette hausse. L'ingénieur assure que ses supérieurs hiérarchiques, qui vérifiaient ses estimations de coûts et qui les acheminaient vers le comité exécutif de la Ville pour l'attribution des contrats, «étaient au courant de la situation».

Ces cadres de la Ville de Montréal sont Yves Themens, supérieur immédiat de M. Surprenant, et Robert Marcil, qui dirigeait le service où il travaillait. L'un et l'autre ont été désignés par Lino Zambito, lors de son témoignage devant la Commission, comme des fonctionnaires ayant collaboré avec le cartel des égouts.

«À mon tour»

La Presse a tenté, hier, de joindre M. Themens à sa résidence et M. Marcil à la firme de génie-conseil Groupe SM, où il travaille actuellement. Ils ne nous ont pas rappelé.

Le mois dernier, M. Themens a été désigné par Lino Zambito comme étant le «contact» qui lui remettait la liste confidentielle des soumissionnaires aux projets de voirie de la Ville. Cette liste était nécessaire aux entrepreneurs pour organiser la collusion, a expliqué hier M. Surprenant.

«C'est arrivé une fois avec M. Themens, a raconté M. Surprenant. Il m'a demandé de fermer la porte et il a sorti de sa poche une grosse liasse de billets de 100$, en me disant qu'il venait d'aller voir Tony.»

«Tony», dans le langage du bureau, c'était Tony Conte, dirigeant de la firme de construction Conex et membre du cartel des égouts.

Parmi les ingénieurs qui surveillaient les travaux liés à ces contrats, M. Surprenant a ajouté que Luc Leclerc, François Thériault et Michel Paquette avaient aussi accepté des pots-de-vin du cartel.

En 2005, affirme-t-il, M. Leclerc, qui était un ami, lui a confié que son patron, «M. Marcil, était allé voir l'entrepreneur Nick Milioto», qui faisait le pont entre les entreprises de construction et la mafia sicilienne.

M. Marcil lui aurait dit: «Là, ça fait assez longtemps que Surprenant et Leclerc collectent. Là, c'est à mon tour.»

Rappelons que, au début du mois d'octobre, MM. Themens, Thériault et Paquette ont été suspendus avec solde par la Ville à la suite du témoignage de Lino Zambito. Celui-ci a affirmé que MM. Thériault et Paquette faisaient partie du stratagème destiné à faciliter la vie à des entrepreneurs pour réclamer des «extras» fictifs.

Robert Marcil, pour sa part, a quitté son poste de gestionnaire à la Ville en 2009, après l'ouverture d'une enquête sur un voyage en Italie que lui a payé l'entrepreneur Joe Borsellino, de Construction Garnier.

La présidente de la Commission, la juge France Charbonneau, a demandé à M. Surprenant s'il savait pourquoi ces cadres supérieurs de la Ville n'ont jamais donné suite aux rapports signalant les coûts de contrats plus élevés à Montréal qu'à Québec ou à Toronto. M. Surprenant a répondu qu'il l'ignorait.

«Ils sont restés en poste, a-t-il dit, mais il n'y a rien qui s'est fait, puisque le système a continué encore pendant plusieurs années», au point où les coûts des mêmes contrats ont fini par dépasser de 30 à 35% les prix enregistrés dans d'autres villes.

Gilles Surprenant a reconnu jeudi dernier qu'il a «arrangé» à la hausse 90 contrats au cours de sa carrière à la Ville, et qu'il aurait touché pour cela des pots-de-vin totalisant 600 000$.

-Avec la collaboration de Francis Vailles