Le Parti libéral du Québec a finalement renoncé à contre-interroger l'ex-entrepreneur Lino Zambito sur ses révélations fracassantes le touchant.

Hier, la formation a demandé et obtenu le statut de participant afin justement de confronter le témoin vedette de la Commission Charbonneau qui a durement éclaboussé le parti au pouvoir de 2003 à septembre dernier. La commissaire avait durement accueilli la demande, s'expliquant mal cet intérêt tardif.

Acceptant de lui donner le statut de participant, la juge Charbonneau avait d'abord refusé au PLQ de contre-interroger Zambito sur son témoignage frappé d'une ordonnance de non-publication. Elle s'est finalement ravisée aujourd'hui pour lui permettre de questionner l'ex-entrepreneur sur la portion rendue publique. Cette portion éclaboussait en particulier Nathalie Normandeau et l'ex-ministre David Whissell.

Surprise à la Commission, Me Michel Décary a annoncé vers 16h45 qu'il renonçait à son contre-interrogatoire. Celui-ci estime que le dossier de Mme Normandeau est trop lié au témoignage toujours sous ordonnance de non-publication et qu'il ne peut aborder.

En abandonnant son contre-interrogatoire, le PLQ ne tentera de mettre à mal les autres révélations touchant notamment l'ex-ministre Line Beauchamp et l'ex-organisateur libéral Pierre Bibeau, numéro 2 à Loto-Québec.

Pas d'argent au PQ

L'ex-entrepreneur Lino Zambito assure n'avoir jamais versé d'argent comptant à un membre du Parti québécois (PQ) pour décrocher un contrat. En fait, celui-ci a même fait un seul don à la formation souverainiste alors qu'elle était au pouvoir, selon une compilation présentée à la Commission Charbonneau.

Le contre-interrogatoire de Lino Zambito s'est poursuivi cet après-midi avec l'avocate du PQ, Me Estelle Tremblay. Celle-ci en a profité pour questionner méthodiquement Ll'ex-entrepreneur sur la période couvrant la création d'Infrabec, 1998, à l'arrivée du Parti libéral (PLQ)à la barre du gouvernement du Québec, en 2003.

L'avocate du PQ a en quelque sorte cherché à démontrer que les malversations dont l'ex-entrepreneur se dit responsable ont touché le gouvernement provincial après la prise du pouvoir par les libéraux.

Me Estelle  Tremblay a présenté une liste des contributions de l'ex-entrepreneur et des membres de son entourage ayant servi de prêt-nom au fil des ans : en tout, un seul don, de 600$, a été fait de 1998 à 2003. Le chèque a été signé par Lino Zambito lui-même. Bref, celui-ci n'aurait pas eu à recourir aux prête-noms, comme il dit avoir fait avec le PLQ.

L'ex-entrepreneur a assuré qu'aucun contrat obtenu légitimement n'a fait l'objet de faux extras ou d'extras gonflés. Il a toutefois précisé que des appels d'offres avaient été truqués. Il a notamment fait référence au contrat décroché auprès du ministère des Transports et confié en sous-traitance à Construction CJRB. Une somme de 150 000$ avait alors été versée à la firme de génie Triax.

Interrogatoire de la Ville de Montréal

L'avocat de la Ville de Montréal, Me Martin St-Jean, s'est affairé à exposer les failles dans les révélations de l'ex-entrepreneur Lino Zambito sur les pots-de-vin qu'il aurait versés à des fonctionnaires montréalais.

«C'est simple de lancer aux quatre vents des noms, mais à un moment, il faut arriver à du concret», s'est impatienté Me St-Jean devant le manque d'éléments pouvant appuyer les dires de l'ex-entrepreneur.

La réponse de la commissaire France Charbonneau a toutefois permis de comprendre que d'autres témoins viendraient appuyer le témoignage de Lino Zambito. «Vous avez raison, lui a concédé la juge. Mais dans une commission d'enquête, il faut commencer à un endroit et la preuve va suivre au fur et à mesure.»

Après avoir peiné à pousser Zambito dans ses retranchements, l'avocat de la Ville a semblé marqué des points quand il est revenu sur l'histoire de la dalle de béton qu'aurait «oublié» Montréal sur un chantier sur le boulevard St-Laurent en 2006. L'ex-entrepreneur a affirmé avoir averti l'ingénieur municipal Gilles Surpenant, surnommé «monsieur TPS» pour le 1% qu'il récoltait sur les contrats du cartel, de la présence de cet obstacle. Il lui aurait mentionné d'aller de l'avant sans en tenir compte, malgré la facture évalue à 800 000$.

«En n'ajoutant pas 800 000$, ne se privait-il pas de 8000$ ?» a souligné Me St-Jean. Même la commissaire Charbonneau a été très intéressée par cette question et a tenté d'obtenir une réponse convaincante de Lino Zambito. Sans succès, puisque la question de la dalle de béton est débattue depuis près d'une heure maintenant.

Zambito résiste

Plus tôt dans son contre-interrogatoire, l'ex-entrepreneur a réussi à mieux défendre ses affirmations sur les pots-de-vin aux fonctionnaires. Me St-Jean avait débuté la journée en s'attaquant aux 300 000$ qu'aurait touché l'ex-directeur général de Montréal, Robert Abdallah. Cette somme lui aurait été transmise par un intermédiaire pour avoir imposé l'achat de tuyaux de béton armé d'une compagnie de la Rive-Sud, Tremca.

L'avocat de la Ville a tenté de retrouver la trace des faux extras qui auraient été promis à Infrabec dans les montants versés à l'entreprise pour la réalisation du chantier sur Sherbrooke Est. Lino Zambito a reconnu qu'il ne pourrait le faire, ceux-ci ayant été «cachés» par son ingénieur, Marc Dagenais, dans diverses réclamations.

Autre difficulté, Infrabec a intenté une poursuite de 200 000$ après ne pas avoir reçu paiement de tous ses extras réclamés. Lino Zambito a expliqué que la démission de Robert Abdallah avaitcontribué à complexifier le règlement de sa réclamation.

Malgré l'offensive du procureur de la Ville, l'ex-entrepreneur a assuré ne pas avoir simplement fait une «déduction» sur les 300 000$ destinés à l'ex-directeur général de Montréal. Il assure que l'entente a bel et bien eu lieu et a été orchestrée par la firme externe embauchée pour représenter la Ville, le Groupe Séguin.

Mémoire sélective

Me St-Jean a de nouveau tenté de soulever des doutes sur les souvenirs de l'ex-entrepreneur. L'avocat s'est étonné de constater que Lino Zambito était en mesure d'évaluer avoir versé 200 000$ en pots-de-vin à l'ingénieur Luc Leclerc, mais était incapable d'estimer combien il a remis à Union Montréal à travers la ristourne de 3% sur les contrats du cartel.

Pourtant, le calcul est beaucoup plus difficile pour établir les sommes remises à Luc Leclerc. Le fonctionnaire aurait touché de 2000 à 2009 une part de 25% des faux extras. Le calcul se complique par le fait que Luc Leclerc devait également approuver de véritables extras pour des travaux effectués et ne touchait rien sur ceux-ci.

À l'inverse, Lino Zambito a expliqué qu'il était simple de calculer combien il aurait versé au parti du maire. «Calculez 3% de tous les contrats d'Infrabec de 2005 à 2009», a résumé Lino Zambito. La Presse s'est prêtée à l'exercice et, en quelques minutes, a pu évaluer le tout à une somme 1,5 million.

Me St-Jean a également souligné que Lino Zambito aurait fait la moitié moins de chantiers avec Luc Leclerc que ce qu'a prétendu l'ex-entrepreneur. Selon ses recherches, l'ingénieur municipal aurait travaillé sur seulement 7 chantiers d'Infrabec plutôt que les 15 à 20 évoqués dans le témoignage de Zambito.

Dans le dossier du surveillant de chantier Michel Paquette, Me St-Jean s'est étonné de constater qu'Infrabec a poursuivi la Ville pour obtenir paiement d'extras malgré cette présumée collaboration. «Ça fonctionne pas toujours vos ententes, vos méthodes de corruption des fonctionnaires», a souligné l'avocat.

«Ça fonctionne, mais il y a des cas d'exception», a précisé Zambito. C'était notamment le cas lorsque des supérieurs non corrompus se mêlaient des dossiers.

Me St-Jean a également tenté de démontrer que l'histoire sur le fonctionnaire Yves Themens, qui aurait fourni la liste des participants aux appels d'offres, ne tenait pas la route. Lino Zambito a indiqué dans son témoignage que la Ville a décidé au milieu des années 2000 de cacher la liste des entreprises intéressées par un contrat. Cette décision compliquait la vie du cartel qui ne savait plus si des joueurs externes risquaient de les court-circuiter.

Me St-Jean a toutefois déposé un document démontrant que c'est seulement en octobre 2009 que la décision a été prise de cacher cette liste. Or, c'est précisément à ce moment que le cartel a cessé de fonctionner en raison des reportages d'Enquête et de la création de l'escouade Marteau.

Il n'a toutefois pas été démontré si cette liste était bien préparée avant cette date et, donc, si la collaboration d'un fonctionnaire était nécessaire pour se la procurer.