L'ex-entrepreneur en construction Lino Zambito a organisé en l'honneur de la ministre Nathalie Normandeau une activité de financement qui a rapporté 110 000 $ au Parti libéral du Québec (PLQ), en 2008. La totalité de cette somme provenait de contributions illégales, qui ont été versées principalement par des firmes de génie qui ont utilisé des prête-noms, a affirmé M. Zambito.

Ces révélations faites la semaine dernière par l'ex-entrepreneur en construction étaient visées par une ordonnance de non-publication qui a été partiellement levée hier.

Le procureur de la Commission a par ailleurs produit un extrait des déclarations du PLQ au Directeur général des élections, dans lequel le Parti déclare avoir encaissé 77 500$ lors de cette activité, qui s'est déroulée en janvier 2008 au restaurant L'Unique, à Laval, en présence de nombreux maires et mairesses qui n'ont pas déboursé un sou pour se trouver là.

Jeudi dernier, devant la commission Charbonneau, le témoin-vedette a longuement raconté comment il s'est introduit dans l'entourage de la ministre des Affaires municipales de l'époque, en 2007-2008, en multipliant les présences dans des activités de financement, en lui offrant une loge d'entreprise au Centre Bell pour un spectacle de Céline Dion et en lui envoyant 40 roses pour son 40e anniversaire.

Mais, de façon plus générale, le témoin-vedette de la Commission a décrit de quelle façon des bureaux d'avocats et d'ingénieurs organisent les élections, préparent les plans et devis des travaux de voirie et en font la surveillance, ce qui leur permet d'accorder des extras, prévus d'avance, sur lesquels ils touchent leur part de même que les entrepreneurs. Et comment, surtout, une partie des fonds générés par ces manoeuvres s'est retrouvée dans les coffres du Parti libéral du Québec.

«Moi, je n'ai jamais vu, rarement vu des bureaux d'ingénieurs piger dans leurs poches pour contribuer à des campagnes électorales, affirme-t-il. On se retourne tout le temps vers l'entrepreneur: "Écoute, ça me prend tant, je vais te le passer en extra, tu me le redonnas en liquide, tu vas être payé, et tout le monde est heureux." C'est une chaîne qui se tient.»

À titre d'exemple, un cocktail de financement de la ministre Normandeau où il était allé, à Québec, en présence d'un vice-président de son entreprise et du maire de Saint-Joseph-du-Lac, Alain Guindon. À 2000 $ par personne, M. Zambito en a versé 6000$ pour cette activité, le double de la limite de contribution qui était alors permise (3000$).

«Mon VP, Pierre Kouri, avait fait un chèque et je lui ai dit: "Fais un chèque personnel, puis tu te passeras une dépense dans la compagnie, puis je te rembourserai." Moi, j'ai fourni un chèque pour moi et M. Guindon.» Les élus, a-t-il souligné, ne paient jamais pour ce genre d'événement.

Amène ton maire

Après avoir participé à deux activités-bénéfice pour la ministre Normandeau, en 2007, M. Zambito a offert à l'entourage politique de la ministre d'organiser un dîner-bénéfice à Laval, le 31 janvier 2008. Les invités, triés sur le volet, devaient payer 2500 $ chacun.

«Je voulais qu'il y ait une rencontre entre plusieurs élus municipaux et la ministre pour qu'ils puissent faire part des besoins dans leur ville et tout ça. Donc, qu'est-ce que j'ai fait? Je suis entré en contact avec des ingénieurs que je connaissais.

«Ma stratégie, derrière la façon de faire: je voulais que chaque bureau d'ingénieurs ou chaque entrepreneur réussisse à amener un élu d'une ville pour vraiment rester dans le cadre du ministère des Affaires municipales.»

Le maire de Charlemagne, Normand Grenier, était là. Le maire de Sainte-Agathe, Laurent Paquette, aussi. Le maire de Blainville, François Cantin, la mairesse de Rosemère, Hélène Daneault, le maire de Saint-Jérôme, Marc Gascon. Comme le dîner avait lieu à Laval, la mairie avait envoyé un représentant du conseil, Benoît Fradet, vice-président du comité exécutif. Aucun des élus, assure M. Zambito, n'a payé pour ce dîner.

À la suite de cette activité de financement, M. Zambito affirme avoir personnellement remis 90 000$ au PLQ en chèques de 2500$. Ce sont les ingénieurs et des entrepreneurs qui en ont fourni l'essentiel. Ils devaient verser 10 000$ pour quatre «personnes».

«On allait dans notre famille, dans nos connaissances» pour trouver des prête-noms, dit-il. Les événements étaient si nombreux au cours de l'année qu'après un moment, «il n'y avait plus de monde qu'on pouvait aller voir pour avoir des chèques».

Céline Dion

En août 2008, M. Zambito disposait d'une loge d'entreprise au Centre Bell pour un concert de Céline Dion et a offert au directeur de cabinet de la ministre Normandeau, Bruno Lortie, d'y inviter la ministre.

Mme Normandeau, le ministre Jacques Dupuis, M. Lortie et sa conjointe, un employé du cabinet de M. Dupuis, la conjointe de celui-ci et le garde du corps de Mme Normandeau ont ainsi pu assister aux prouesses vocales de la petite fille de Charlemagne. M. Zambito s'y trouvait aussi.

À l'entracte, ils ont reçu la visite de la ministre Michelle Courchesne, qui était aussi à ce concert en compagnie du maire de Laval, Gilles Vaillancourt.

«J'ai été présenté à M. Vaillancourt, que je connaissais, mais qui a fait comme s'il ne me connaissait pas.»

L'oncle de M. Zambito, Jean Rizzuto, propriétaire du Marché 440 où est situé le restaurant L'Unique, est un ennemi juré de M. Vaillancourt.

La Presse

Lino Zambito

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40 roses pour Nathalie Normandeau

En mai 2008, Lino Zambito a demandé à Bruno Lortie, chef de cabinet de la ministre Nathalie Normandeau: «Si on veut souligner son anniversaire, on envoie quoi à une vice-première ministre?»

M. Lortie lui a répondu: «Écoute, Lino, tu sais, les femmes, souvent, aiment recevoir des fleurs. Je suis sûr que si tu envoyais des fleurs, elle serait très heureuse.»

«En raccrochant, j'ai dit à mon assistante: "Écoute, telle date - c'était le 8 ou le 9 mai - assure-toi d'envoyer un bouquet de roses à Mme Normandeau".»

Un bouquet pour le 40e anniversaire de la ministre

Le procureur de la Commission a demandé à M. Zambito si ces roses et les billets pour le spectacle de Céline Dion ne cachaient pas par hasard «un petit but intéressé».

«Les billets au Centre Bell, a répondu M. Zambito, ça a tout le temps été fait dans un but de développement des affaires.»

«Et pour les roses, lui a demandé le commissaire Renaud Lachance, sérieusement, est-ce que vous étiez toujours en développement des affaires?»

«Tout le temps, a répondu M. Zambito. On ne lâchait jamais.»

La ministre Normandeau, en tout cas, a été touchée par l'attention. Dans une lettre rendue publique par la Commission, la ministre Normandeau dit «40 fois merci» à M. Zambito pour les roses.

La lettre de la ministre Normandeau a été saisie par l'escouade Marteau en 2010 dans les bureaux d'Infrabec, l'entreprise de M. Zambito.

«Oui, a affirmé le témoin. Puis, aujourd'hui, je suis triste que Marteau l'ait saisie, puis ne l'ait plus.»

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Ordonnance de non-publication

Les 3 et 4 octobre derniers, une partie du témoignage de l'ex-entrepreneur en construction Lino Zambito devant la commission Charbonneau est tombée sous le coup d'une ordonnance de non-publication. Cette ordonnance a pour but d'éviter que des informations liées à des procès criminels en cour soient divulguées. Cette ordonnance a été en partie levée, hier. Par contre, des éléments du récit de Lino Zambito, dont le nom de certaines personnes ou de certains lieux, sont toujours soumis à l'ordonnance. Ces restrictions expliquent le manque de précision entourant les dossiers évoqués par l'ancien patron d'Infrabec, lors de son témoignage. Dans la mesure du possible, nous avons cherché à relater le contexte et les faits de manière à les rendre aussi clairs que possible, en protégeant les informations encore sous l'ordonnance de non-publication.