Il a infiltré la mafia jusqu'en son coeur, permis plus de 200 condamnations et inspiré un film avec Johnny Depp et Al Pacino. Lundi, c'est devant la commission Charbonneau que l'ex-agent du FBI Joseph Pistone poursuivra sa mission. Le septuagénaire, dont le destin fut mêlé à celui du parrain montréalais Vito Rizzuto, devrait dresser un portrait sans complaisance des mafiosi nord-américains, qu'il a déjà décrits comme une vulgaire bande de menteurs, de voleurs, de tricheurs et d'assassins.

Dans le film hollywoodien Donnie Brasco, inspiré de la vie de Pistone, le personnage incarné par Johnny Depp finit par s'attacher aux criminels qu'il a infiltrés pendant six ans. Il s'inquiète du sort de Lefty, le caïd qui lui a fait confiance en l'introduisant dans la famille Bonanno sans savoir qu'il était un policier. Lorsque sa conjointe redoute de le voir devenir comme les mafiosi, il explose.

«Toute ma vie, j'ai essayé d'être le bon gars. [...] Et pour quoi? Pour rien! Je ne suis pas en train de devenir comme eux. Je SUIS eux!», lance-t-il.

Dans son livre, Donnie Brasco: Unfinished Business, publié en 2008, l'ancien agent double explique que le film est fidèle à 85% à la réalité, mais que cette réplique en particulier avait été inventée à des fins dramatiques.

«Je n'ai jamais eu les sentiments que le film m'attribue envers Lefty. Je n'ai jamais senti le besoin de le sauver et je ne me suis pas senti coupable. [...] Lefty et sa nation souterraine de la mafia sont les ennemis de l'Amérique. J'étais un agent du FBI américain. Lefty violait les lois de mon pays. Chaque jour de sa vie adulte, il les violait ou passait son temps à élaborer des façons de les violer», écrit-il.

La commission Charbonneau qui enquête sur les allégations de collusion et de corruption dans l'industrie de la construction est assurée de retenir l'attention du public dès la reprise de ses travaux lundi, grâce à ce témoin prestigieux, dont l'identité a été dévoilée par Radio-Canada. Et ce, même si ses connaissances datent passablement.

Tuer légitimement

En se faisant passer pour un bandit ambitieux, Pistone a eu accès à des dirigeants des échelons supérieurs de la mafia et à certains de leurs secrets, de 1976 à 1981. Son mentor, Lefty, lui faisait miroiter la possibilité de devenir sous peu un membre en règle, ce qui permettait de mentir, tricher, voler et tuer «légitimement», de «faire tout ce que tu veux» sans que personne ne puisse dire quoi que ce soit, a-t-il raconté.

«La mafia est une organisation criminelle pleine de mauvaises personnes qui font du mal aux gens bien pour le profit. Croyez-moi: je l'ai vu chaque jour où j'étais avec eux. C'est aussi simple que ça», écrit Pistone dans son livre.

Pistone a principalement infiltré les rangs de la famille mafieuse des Bonanno de New York, de qui relevait la mafia montréalaise. Dans ses nombreux écrits, il cite à quelques reprises le nom du vieux patriarche montréalais Nick Rizzuto et souligne au passage les voyages au Canada de certains membres des Bonanno.

En 1981, ses mentors dans la mafia assassinent d'un seul coup trois «capos» rebelles qui contestaient le leadership de la famille Bonanno. La tuerie est d'ailleurs recréée dans le film Donnie Brasco. Le futur parrain canadien, Vito Rizzuto, venu de Montréal, participe au triple meurtre, pour lequel il sera condamné en 2007.

À l'époque, le fils d'un des rebelles avait échappé à Vito Rizzuto et aux mentors de Pistone. Ce dernier s'était donc vu confier la mission de l'éliminer. Peu après, le FBI a forcé son agent à mettre fin à sa mission secrète au coeur de la mafia.

«Ils croyaient que le massacre des trois capos conduirait à une guerre civile au sein des Bonanno et me mettrait en plein milieu», a raconté Pistone, qui aurait voulu poursuivre son travail d'infiltration.

Après le dévoilement de la vraie identité de Pistone, les chefs des cinq familles mafieuses de New York ont offert 500 000$ pour quiconque arriverait à le tuer. Encore aujourd'hui, il utilise de fausses identités et prend de multiples précautions pour ne pas être retrouvé. Mais les menaces ne l'ont jamais empêché de sortir de l'ombre pour venir témoigner lorsqu'on lui en faisait la demande. Il a déjà écrit que le danger auquel il fait face est relatif. «S'ils me retrouvaient, ils devraient m'affronter. Le gars qui s'en prendra à moi devra être meilleur que moi», prétend-il.