Les enquêteurs de l'Unité anticollusion (UAC) croient avoir découvert une collusion «tentaculaire» dans laquelle une poignée d'«oligarques» dicte les règles de l'industrie de la construction au Québec.

C'est ce qui se dégage de la deuxième journée du témoignage de Jacques Duchesneau, ancien dirigeant de l'UAC. S'il n'a toujours pas nommé d'entrepreneurs ou d'entreprises faisant partie de ce «petit groupe», il a fourni une foule d'exemples permettant de mieux comprendre les conclusions explosives de son rapport.

Au début de son enquête, l'UAC s'intéresse à un appel d'offres en apparence banal, où trois entreprises ont déposé une soumission. Si les règles semblent avoir été respectées, les enquêteurs découvrent toutefois un fait troublant en poussant leurs vérifications: les trois entreprises appartiennent à la même personne.

Croyant avoir mis le doigt sur un bon filon, Jacques Duchesneau embauche une sociologue pour mettre sur papier les liens entre les différentes entreprises du milieu. Ce travail aboutit à «16 ou 17 diagrammes de relations» permettant de constater l'ampleur des tentacules de certains groupes. Une entreprise sort du lot: elle se trouve à la tête d'environ 70 autres entreprises dans le domaine de la construction.

Pas de noms, mais des diagrammes sous scellés

L'ancien policier s'est bien gardé pour l'instant d'avancer des noms, mais il a déposé à la Commission, sous scellés, huit de ces diagrammes. L'information n'est pas publique, mais les commissaires pourront s'en inspirer pour cibler des firmes soupçonnées de collusion et convoquer de nouveaux témoins à l'automne.

«Quelqu'un dans le milieu a tenté de nous faire croire que c'était de l'intégration [horizontale]. Mais quand on regarde ça de près, on se rend compte que c'est pour empêcher qu'il y ait une concurrence loyale par les autres. Si tu dois toujours faire affaire avec la même entreprise pour avoir tes tuyaux haute pression, c'est le fournisseur qui peut jouer avec les prix et vous empêcher de soumettre un bon prix.»

L'ex-policier cite cet entrepreneur qui n'a pu déposer une soumission à un appel d'offres d'un projet de piste cyclable, puisqu'il n'arrivait pas à trouver 55 000 tonnes d'asphalte. «Si on vous la vend 10$ de plus la tonne parce que vous ne faites pas partie du groupe, vous venez de perdre un demi-million en profits. Ce n'est plus rentable d'y aller», explique-t-il.

L'actuel directeur des contrats au ministère des Transports du Québec (MTQ), Marcel Carpentier, a d'ailleurs évoqué ce phénomène lors de son témoignage, mercredi matin. Un entrepreneur avait indiqué s'être désisté d'un appel d'offres en raison de son incapacité à s'entendre avec l'un de ses fournisseurs - un fournisseur qui appartenait justement à un concurrent dans l'obtention du contrat.

En plus des diagrammes, Jacques Duchesneau déposera également à la Commission une vidéo de cinq heures dans laquelle un entrepreneur explique en détail les rouages de la collusion, un autre jalon important dans son enquête. «Tout le monde dans le milieu de la construction est obligé de jouer selon les règles édictées par d'autres. Et je ne parle pas du gouvernement. Au contraire, des gens tentent de contourner les règles du gouvernement», résume l'ex-policier.

Jacques Duchesneau tient à être clair: «J'ai vu plus d'entrepreneurs victimes du système que d'entrepreneurs qui tiraient les ficelles. On parle d'un infime groupe, des oligarques, qui peuvent, à cause de la force financière de leur groupe, déterminer qui va avoir un contrat ou pas».

Après avoir détaillé les débuts chaotiques de l'UAC mercredi et s'être attardé à la mécanique de la rédaction du rapport Duchesneau hier, le procureur responsable de l'interrogatoire a dit être prêt à s'attaquer au «coeur du rapport». Le témoignage de Jacques Duchesneau reprend lundi, à 9h30.