Pour témoigner devant la commission Charbonneau, les élus et les fonctionnaires municipaux devront payer de leur poche s'ils souhaitent être assistés d'un avocat. Alors que les municipalités ont l'obligation légale de payer leur défense devant les tribunaux, un «flou juridique» entoure les commissions d'enquête, a appris à ses dépens la mairesse de l'arrondissement de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles, Chantal Rouleau.

Son parti, Vision Montréal, présentera une motion à ce sujet au prochain conseil municipal, le 16 avril. «Ça va au-delà de l'esprit partisan, c'est pour pouvoir aller au fond des choses, explique Mme Rouleau. Ce n'est pas de moi qu'il s'agit, mais de tous les élus et employés qui pourraient avoir des informations pertinentes à communiquer.»

En octobre 2011, Mme Rouleau avait secoué le monde municipal lorsque, dans un cri du coeur, elle avait affirmé que «la collusion est érigée en système à Montréal». Une semaine plus tard, le gouvernement Charest a annoncé la mise sur pied d'une commission d'enquête sur l'industrie de la construction. Le mois dernier, des représentants de la commission Charbonneau ont offert à la mairesse le statut de participante.

Ce statut permet à celui «qui a un intérêt important et direct» d'accéder à la preuve, de proposer des témoins, de les contre-interroger et de présenter une argumentation finale. L'autre statut reconnu est celui d'intervenant, lequel dispose grosso modo des mêmes privilèges mais n'est pas «susceptible d'être affecté par le rapport de la commission».

Mme Rouleau a demandé l'aide d'un avocat payé par la Ville, comme c'est la coutume quand les élus font face à une poursuite. Les services juridiques ont été clairs, selon la mairesse: rien n'est prévu quant aux honoraires d'avocats des participants et des intervenants à une commission d'enquête.

Pas sans avocat

Plus précisément, l'article 604 de la Loi sur les cités et villes force les municipalités à payer pour la défense d'un élu ou d'un fonctionnaire appelé à comparaître à titre de «défendeur», d'«intimé» ou d'«accusé» devant un tribunal. Les termes «participant» et «intervenant» ne s'y trouvent pas.

Curieusement, la loi reconnaît plus loin comme «tribunal»... les commissions d'enquête. «C'est une zone grise, un flou juridique», estime Mme Rouleau.

Le porte-parole de la Ville, Gonzalo Nunez, précise qu'«une analyse doit être faite» pour déterminer si un élu qui obtiendrait le statut de participant pourrait être considéré comme «mis en cause», et ainsi profiter de la protection de la loi. «Avant de conclure que la Ville n'offrira aucun soutien juridique, le Service des affaires juridiques doit analyser la portée de cet article.»

La mairesse Rouleau, quant à elle, ne compte pas accepter le statut de participante si elle n'est pas assistée d'un avocat: «On va à la Commission, on dit des choses qui sont rendues publiques, on nomme des personnes, on est contre-interrogé. Ça peut être dommageable.»

La commission Charbonneau ne peut aider financièrement les témoins qui vont participer à ses travaux, précise son porte-parole, Richard Bourdon. «On n'a pas ce pouvoir en vertu de la loi.»

La motion qui sera déposée par Vision Montréal prévoit un «soutien juridique» aux employés et élus qui obtiendront le statut de participant ou d'intervenant. On estime que la portée limitée de la loi actuelle «pourrait décourager plusieurs individus de participer à la commission». «Dans toute autre circonstance, on est protégé par la Ville de Montréal, rappelle la mairesse Rouleau. On devrait aussi l'être devant une commission d'enquête. Je suis persuadée qu'on va obtenir l'aval des autres partis.» L'administration Tremblay, majoritaire au conseil municipal, n'a pas fermé la porte. «On va attendre qu'ils déposent la motion, indique Martine Painchaud, porte-parole. On va l'analyser: il y a beaucoup d'éléments à considérer.»