Le Barreau du Québec s'est montré préoccupé, jeudi, par le fait que l'allégeance politique de ses membres candidats à des postes de juges ait été abordée au bureau du premier ministre Jean Charest.

Dans son mémoire déposé devant la commission sur le processus de nomination des juges, présidée par Michel Bastarache, l'ordre professionnel des avocats a d'ailleurs recommandé que les dossiers des finalistes aux concours de la magistrature ne transitent plus par le bureau du premier ministre.

Après avoir présenté le document, le vice-président du Barreau, Louis Masson, a déclaré que l'objectif de l'organisme était de proposer un processus qui empêche l'influence de facteurs externes.

«Le processus de sélection et de nomination doit inspirer confiance et donc être à l'abri le plus possible de la prise en considération de facteurs non pertinents, a-t-il dit. Oui, c'est une préoccupation d'assurer que le processus soit étanche.»

Une employée du cabinet de M. Charest, Chantal Landry, a affirmé devant la commission que dans le cadre de ses fonctions de responsable des nominations, elle indiquait l'allégeance des aspirants magistrats sur des notes autocollantes apposées sur leurs dossiers, avant de les remettre au premier ministre.

M. Masson a affirmé que ces informations n'ont rien à voir avec les compétences requises pour accéder à la Cour du Québec.

«L'appartenance purement politique ou des considérations de pure partisannerie ne sont pas à nos yeux des critères pertinents dans le processus de nomination des juges et c'est ce qu'on a exposé dans notre mémoire», a-t-il dit.

Dans son document, le Barreau écrit qu'«afin d'éviter toute apparence d'influence politique sur les nominations», seul le ministre de la Justice doit recevoir les dossiers des finalistes retenus par un comité chargé de leur sélection.

M. Masson a refusé de conclure, jeudi, que les libéraux ont modifié le processus afin de permettre à M. Charest d'obtenir les dossiers, comme l'ont observé d'anciens ministres péquistes de la Justice qui ont témoigné devant la commission.

«L'évaluation de la preuve, nous avons pris l'option de la laisser entre les mains du commissaire Bastarache», a-t-il dit.

Avant lui, la coordonnatrice à la nomination des juges au ministère de la Justice, Andrée Giguère, a toutefois déclaré qu'elle ignorait que les dossiers des finalistes aux concours de la magistrature étaient transmis à M. Charest, jusqu'à ce que cette information soit abordée le mois dernier, lors des audiences de la commission Bastarache.

En marge de son passage devant le commissaire, jeudi, Mme Giguère a déclaré que cette information lui était inconnue puisque ses responsabilités sont limitées à la dimension administrative du processus.

Durant les audiences de la commission, un chef de cabinet qui a travaillé pour deux ministres de la Justice libéraux, Pierre Paquin, a expliqué, le 29 septembre, qu'il acheminait les dossiers des finalistes à Mme Landry.

Mme Landry a elle-même témoigné que cette façon de faire était pratiquée depuis l'élection des libéraux, en 2003.

Un résumé du processus de nomination à la Cour du Québec, confectionné en juin dernier par Mme Giguère et déposé devant la commission, ne fait pourtant aucune mention du fait que les dossiers sont transmis au cabinet du premier ministre.

Mme Giguère a affirmé jeudi qu'elle avait été informée de cette étape supplémentaire lors des travaux de la commission.

«Je l'ai appris comme vous en regardant la télévision», a-t-elle dit lors d'une entrevue à La Presse Canadienne.

L'ancien président de la Commission d'accès à l'information (CAI), Paul-André Comeau, a quant à lui exprimé sa surprise face à l'implication de M. Charest dans le processus de nomination des juges.

Après avoir été entendu par la commission à titre de professeur à l'École nationale d'administration publique (ÉNAP), M. Comeau a affirmé que le pouvoir du ministre de la Justice devrait être renforcé afin de confirmer qu'il est le seul responsable de se prononcer sur le choix final.

De cette façon, a indiqué M. Comeau, il sera possible d'éviter les effets pervers d'ingérence et de politisation de la fonction.

«En délimitant un mandat et une patinoire on va éviter les problèmes, a-t-il dit lors d'une entrevue. Mais il y aura toujours de l'hommerie.»

Selon M. Comeau, depuis la réforme de la magistrature, vers 1980, seul le ministre de la Justice était responsable du choix final du magistrat dont le nom est ensuite soumis au conseil des ministres, qui entérine la décision.

M. Comeau, qui a été président de la CAI de 1990 à 2000, s'est étonné de voir que les libéraux ont changé la façon de faire pour permettre à M. Charest de donner son avis au ministre de la Justice à partir des dossiers des finalistes.

«Que la désignation d'un candidat juge soit l'oeuvre du ministre de la Justice, ça me semblait aller de soi, a-t-il dit. J'ai été très surpris d'apprendre ça comme tout le monde. Parce que j'avais l'impression qu'on avait au fil des années réussi à «départisaniser» le processus de nomination.»

Devant le commissaire Bastarache, avec deux autres spécialistes, M. Comeau a proposé la création d'un comité permanent qui serait chargé de faire la sélection des candidats à la magistrature et de soumettre un choix très limité au ministre de la Justice de manière à réduire sa marge discrétionnaire.

M. Comeau a affirmé qu'environ cinq personnes pourraient être désignées pour des mandats de trois ou quatre ans afin de s'occuper de la sélection des magistrats.