La commission Bastarache s'est transformée en tribunal d'Inquisition où l'ancien ministre de la Justice Marc Bellemare s'est retrouvé dans le rôle de l'accusé pour avoir attaqué la crédibilité du premier ministre Jean Charest.

C'est ce qu'a soutenu mardi l'avocat de l'ancien ministre, Jean-François Bertrand. Il estime que son client a été injustement traité dans cette opération, lancée par un premier ministre qui cherchait des munitions pour alimenter la poursuite de 700 000$ qu'il a intentée contre M. Bellemare pour atteinte à sa réputation.

Clôturant mardi la première de deux journées de plaidoirie, Me Bertrand a durement attaqué la commission dirigée par l'ancien juge de la Cour suprême.

«Comparez les interrogatoires de tous les autres témoins. On a l'impression qu'on est à la plage, un petit ballon de plage. Allez voir l'interrogatoire de M. Charest», a dit Me Bertrand. Quand Marc Bellemare a été interrogé, «c'est des balles de baseball qu'on lui envoyait. Quand on compare les questions à Me Bellemare et à d'autres témoins, c'est un tout autre monde.»

«J'ai eu l'impression qu'il y avait quelqu'un d'accusé d'un crime», a-t-il lancé.

Crédibilité attaquée

En matinée, Me Suzanne Côté, avocate du gouvernement, avait prévu que Me Bellemare se décrirait comme un bouc émissaire. «Il choisit de se présenter comme victime des circonstances alors qu'il avait en main tous les moyens pour empêcher que l'intégrité du système soit menacée par les pressions dont il était selon lui l'objet», a-t-elle dit dans sa dernière intervention.

Les plaidoyers ont été de natures bien différentes: systématique et détaillé pour Me Côté, plus impressionniste et politique pour les avocats de Me Bellemare.

«On a essayé de démolir la crédibilité de Marc Bellemare et de le faire passer pour le vilain petit canard du gouvernement libéral 2003. Mais la population n'est pas dupe de cette tentative», a lancé Me Bertrand. À son avis, il est sans précédent qu'un premier ministre en exercice au coeur du débat nomme la commission d'enquête où il sera appelé à témoigner et en délimite lui-même le mandat.

Jean Charest avait avantage à ne pas dire la vérité dans son témoignage, selon Me Bertrand: «Il est dans le trouble si Marc Bellemare a raison. Pour lui, cela signifie la fin de sa carrière politique parce qu'il aura menti aux Québécois. Il a tout à gagner à ce que Me Bellemare soit totalement discrédité. Or, on doit se réjouir qu'il ait lamentablement échoué dans sa tentative.»

Déjà, l'autre avocat de l'ancien ministre avait ouvert le chemin: «J'ai eu l'impression d'assister à un procès digne de l'Inquisition. Il ne manquait que les pinces et les fers rougis au feu», a lancé Rénald Beaudry.

En matinée, la procureure du gouvernement, Suzanne Côté, a soutenu que le ministre Bellemare avait mis tellement de temps à nommer un juge dans le district de Longueuil qu'il a dû presser le pas et se rabattre sur un juge d'un autre district, Marc Bisson, pour stopper les récriminations du juge en chef et de la bâtonnière locale.

Au contraire, Me Beaudry a soutenu que, «fier et à la limite orgueilleux», Marc Bellemare avait tout fait pour éviter de nommer Me Bisson, jusqu'à songer à annuler le concours, comme l'évoquent les notes du sous-ministre Louis Dionne.

Poursuites criminelles?

Selon Me Côté, en revanche, jamais au cours des sept semaines d'audience les procureurs de Marc Bellemare n'ont pu démontrer que leur client avait fait l'objet de «pressions indues» pour nommer des juges. «Les allégations de Marc Bellemare ne sont aucunement soutenues par la preuve.»

Si elles étaient fondées, les déclarations de l'ancien ministre pourraient même, selon elle, l'exposer à des poursuites criminelles. Cela signifierait qu'il aurait accepté «de très sérieuses illégalités, vraisemblablement une violation du Code criminel concernant les fraudes envers le gouvernement, l'abus de confiance d'un fonctionnaire public, la vente et l'achat de charges publiques».

En point de presse, par la suite, devant l'intérêt des journalistes, Me Côté a été forcée de battre en retraite au sujet de ces possibilités de recours contre l'ex-ministre. Mais pour le gouvernement, les allégations «ne sont pas fondées», a-t-elle dû insister.

«La preuve montre que Jean Charest n'a pas été mis au courant des allégations de Marc Bellemare ni consulté par ce dernier.» Elle n'a pas relevé le rôle de Chantal Landry, l'adjointe du premier ministre, qui informait parfois ce dernier des allégeances politiques des candidats à la magistrature. Les chefs de cabinet et les proches collaborateurs des ministres et du premier ministre sont aussi sous serment, et le fait qu'ils soient informés du processus ne signifie pas que la confidentialité ait été brisée, a soutenu Me Côté.

Débat juridique

Même si les anciens ministres de la Justice parlent de la nomination des juges comme de «leurs nominations», la loi indique que ces choix appartiennent au gouvernement. «Il s'agit d'une nomination du gouvernement pour laquelle il a des comptes à rendre. Il ne peut certainement pas procéder les yeux fermés.»

«Tout ministre de la Justice est constamment sollicité. La personne qui accepte de devenir ministre doit être en mesure de traiter l'information qu'on lui donne sans en être affectée», a encore dit Me Côté. Recommander la candidature de quelqu'un d'autre que cela vienne «d'un ministre, du premier ministre, d'un solliciteur de fonds, ce n'est pas illégal. Ce n'est pas interdit. Ce n'est pas sinistre...»

Pour Me Bertrand, en revanche, le règlement sur la nomination des juges est limpide: il ne peut y avoir d'intervention du premier ministre ou d'autres ministres dans le choix d'un magistrat.