Jean Charest n'est «pas mal à l'aise» qu'un collecteur de fonds libéral, Charles Rondeau, ait un accès privilégié à la responsable des nominations au sein de l'appareil gouvernemental, ou même au plus haut fonctionnaire de l'État. Le premier ministre soutient n'avoir «aucune raison» de douter de l'intégrité de ces trois personnes.

Selon les registres des visiteurs de l'édifice Honoré-Mercier à Québec, là où se trouvent les bureaux du premier ministre, Charles Rondeau aurait eu une vingtaine de réunions en six mois avec Chantal Landry. Cette ancienne candidate libérale dans Rimouski a hérité en 2003 du rôle de coordonner les quelque 1300 nominations au sein du gouvernement.

Pressé de questions sur ce sujet par l'avocat de Marc Bellemare, Jean-François Bertrand, M. Charest a maintenu la même ligne de défense pendant près d'une heure. «Je repose la question, a martelé Me Bertrand. Êtes-vous confortable avec le fait qu'un collecteur de fonds ait des accès aussi réguliers avec la responsable des nominations? Il y a ce qu'on appelle l'apparence. Est-ce que ça ne vous met pas mal à l'aise?»

M. Charest a d'abord rappelé -à plusieurs reprises- que 65% des nominations effectuées cette année-là étaient en fait des reconductions ou des renouvellements de mandats. «Je suis à l'aise avec le travail que fait Mme Landry. Dans ce que vous dites, il manque le mot "intégrité". Est-ce que je suis à l'aise avec le fait que ce soit une personne intègre? Si c'est comme vous semblez le décrire, comment se fait-il que 65% des nominations ont été reconduites?»

Relancé sur la question des apparences, M. Charest a soutenu qu'«on n'est pas dans les apparences, on est dans les faits. Dans les relations que mon bureau a avec les gens, je n'ai aucune doute sur l'intégrité des gens et ce qu'ils font.»

Mais pourquoi l'avis d'un collecteur de fonds, simple bénévole du PLQ,  aurait-il tant d'importance, a voulu savoir Me Bertrand? «M. Rondeau est très connu dans la région de la capitale et dans l'est du Québec, a expliqué M. Charest. Généralement, c'était des recommandations qui étaient bonnes.»

Il a également soutenu que «n'importe qui dans la société civile» pouvait y aller de ses recommandations pour pourvoir à un poste dans l'appareil gouvernemental. «Mais c'est nous qui faisons les nominations. Quelqu'un peut avoir un avis ou une recommandation, c'est nous qui prenons les décisions.»

Le droit d'intervenir

Plus tôt en matinée, le premier ministre a dû se défendre longuement d'avoir enfreint les règlements à ce sujet. Incisif, Me Bertrand est revenu sur la controverse qui a secoué le gouvernement Charest au printemps 2010, quand diverses sources ont révélé que le premier ministre avait accès avant les ministres à la liste des candidats recommandés aux postes de juges par les comités de sélection.

Pour M. Charest, «c'est comme ça qu'on l'a fait». Il a soutenu que Me Bertrand fait dire au règlement «des choses qu'il ne dit pas».

«Vous interprétez à votre façon, Me Bertrand, a lancé M. Charest. Je pense qu'il est normal pour un gouvernement qui a la responsabilité de faire des nominations de procéder comme on le fait.»

La discussion, très technique et pointue, n'a cependant pas permis d'en apprendre beaucoup plus sur les pressions indues dont affirme avoir été victime Marc Bellemare. Combatif, M. Charest s'est rebiffé à plusieurs reprises devant les questions de Me Bertrand.

Il a de nouveau écorché M. Bellemare quand il a soutenu que c'est à la suite de son passage malheureux au ministère de la Justice que la Direction des poursuites pénales a été créée. Auparavant, cette responsabilité relevait du ministre. M. Charest s'est également défendu de n'avoir que peu d'intérêt pour la magistrature, comme l'en avait accusé Marc Bellemare dans son témoignage fin août.

«Je suis avocat de formation, j'ai pratiqué environ trois ans. Ça m'a permis d'apprécier l'importance d'un juge dans la vie démocratique d'une société. J'ai rencontré Mme la juge St-Louis, le juge Gagnon quand il a quitté. Quand il a été temps de le nommer, je m'en suis mêlé à mon niveau à moi, je me suis intéressé à ces choses.»

Me Bertrand a également voulu connaître dans le menu détail l'horaire de Jean Charest le fameux soir du 2 septembre 2003, alors que Marc Bellemare a affirmé avoir dévoilé au bureau du premier ministre les pressions «colossales» qu'il subissait de deux argentiers libéraux pour nommer trois juges. M. Charest a soutenu hier que cette réunion n'avait jamais eu lieu.

Le 2 septembre, a-t-il expliqué ce matin, il était à son chalet de North Hatley ou à Montréal -son souvenir est vague- puis s'être rendu en milieu de journée à Québec. Il y a préparé le conseil des ministres du lendemain en compagnie de son chef de cabinet et du secrétaire général du conseil exécutif et ce, jusqu'à 19h30. «Ce que je fais après, habituellement, c'est la lecture de documents pour me préparer au conseil des ministres du lendemain. Je fais ça chez moi où je vais continuer à lire jusqu'à minuit.»

Le contre-interrogatoire de M. Charest s'est terminé en fin de matinée. La commission Bastarache reprendra ses travaux lundi avec le témoignage attendu de Chantal Landry.