Le premier ministre Jean Charest a réfuté jeudi toutes les allégations de son ex-ministre Marc Bellemare sur les influences quant aux nominations des juges. Et il a présenté l'éphémère politicien comme un personnage ombrageux, frustré par ses nombreux échecs.

Marc Bellemare soutient avoir prévenu M. Charest le 2 septembre 2003, dans une réunion d'une heure et demie au cabinet du premier ministre, qu'il était l'objet de pressions indues de la part de Franco Fava. Ce dernier désirait obtenir la nomination de candidats libéraux à des postes de juge. M. Charest aurait même laissé tomber: «Franco est un collecteur de fonds important, s'il te dit de nommer Simard et Bisson, nomme-les!»

La réplique de Charest

«Non, catégoriquement. Les paroles qu'il me met dans la bouche n'ont jamais été prononcées par moi. Collecteur de fonds, ce n'est pas un langage que j'emploie, ça m'aurait offusqué. Cette rencontre n'a pas eu lieu. Une rencontre d'une heure et demie, il faut avoir des choses à dire. Elle aurait été inscrite à mon agenda. Une rencontre en plus où il m'aurait parlé de pressions de Franco Fava, je m'en serais rappelé, je ne l'aurais pas oubliée. Cette rencontre n'a pas eu lieu», a insisté M. Charest interrogé par le procureur en chef, Giuseppe Battista.

La gravité des allégations aurait laissé chez lui un souvenir indélébile, explique M. Charest. «C'est pas banal. Si j'ai mon ministre de la Justice assis en face de moi qui me dit qu'il a eu des pressions, je m'en serais rappelé», a soutenu le premier ministre.

«S'il m'en avait parlé, j'aurais pris les moyens, entre autres, pour le protéger. Si un ministre de la Justice dit: «J'ai des pressions pour nommer des juges.» Je regrette mais c'est inacceptable... On va prendre les moyens pour corriger ça...»

Cette fameuse réunion n'apparaît pas à l'agenda du premier ministre. Surtout, on relève qu'à ce moment, il devait préparer la réunion du Conseil des ministres du lendemain avec son secrétaire général.

Le même démenti pour la petite phrase d'un Charest «très nerveux» au moment de la démission de son ministre. «Fava, Rondeau, l'argent, cela n'existe pas. Tu as un serment, tu ne peux pas parler de ça», avait soutenu M. Bellemare dans son témoignage. «C'est faux, complètement faux!» a lancé jeudi M. Charest.

Fava, «une connaissance»

Ses relations avec Franco Fava sont loin de la proximité dépeinte par Marc Bellemare, selon M. Charest. «J'ai écouté son témoignage. Au rythme où ça allait, on allait finir jumeaux. Il décrivait une relation d'intimité, ce n'est pas ça. M. Fava, c'est une connaissance, je le vois environ deux fois par année, dans des événements politiques.» Il ne se souvient pas d'avoir téléphoné à ce collecteur de fonds du PLQ, ni même d'avoir été seul avec lui.

Le premier ministre examine d'ailleurs quelques jours avant la réunion du Conseil des ministres la liste des candidats jugés «aptes» à la magistrature et prend connaissance de la recommandation de son ministre de la Justice, qui aura à faire la proposition à la table du Conseil. M. Charest souligne qu'il est déjà intervenu pour qu'on choisisse des candidats plus âgés, idéalement autour de la cinquantaine. Chantale Landry, la responsable des nominations, se trouve alors avec M. Charest. «Si elle a l'information, elle peut la donner, dire que c'est une personne qui est réputée d'allégeance libérale. Mais le gouvernement a nommé des gens qui sont de toutes les allégeances politiques», a soutenu jeudi M. Charest.

Personnalité complexe

À maintes reprises, Jean Charest a présenté son ministre comme un personnage instable, ombrageux et méfiant. Son projet de loi 35 sur la réforme des tribunaux administratifs soulevait de l'opposition tant chez les syndicats que chez les patrons. Une rencontre a été organisée au printemps 2004 au cabinet de M. Charest pour tenter de tirer le ministre de ce mauvais pas.

«Ç'a été une rencontre pénible, on essaie de mettre autour de la même table les principaux intéressés au projet de loi de réforme des tribunaux administratifs. D'un côté Henri Massé et Gilles Taillon. Dans une salle de conférence, M. Bellemare boudait, regardait le plancher (...) C'était très embarrassant», a affirmé M. Charest. (Joint jeudi, un des participants à la rencontre confirmait: M. Bellemare ne parlait presque pas, «n'était pas combatif».)

Jean Charest s'est dit aussi estomaqué d'avoir entendu M. Bellemare soutenir qu'il avait suggéré d'expliquer sa démission d'avril 2004 par des raisons familiales. C'est Marc Bellemare lui-même qui avait pris cette initiative, selon M. Charest, qui relève au passage que son ministre tenait à démissionner moins d'un an après sa nomination pour échapper à la loi sur le lobbyisme.

M. Bellemare avait vu «un autre complot» dans un souper organisé pour lui deux mois après son départ à l'édifice Price à la résidence du premier ministre. M. Bellemare y avait vu une rencontre camouflée pour préparer la partielle dans sa circonscription de Vanier, devenue vacante. «On avait beaucoup d'empathie pour lui. C'est lui qui avait choisi les invités. Comme ministre, toute son affaire avait été un échec. Il n'a pas réussi à s'entendre avec ses collègues. Les chicanes publiques n'arrêtaient pas. Cela n'avait pas marché. Et de voir que sept ans plus tard, il pense que ce souper avait été manigancé par ma femme et moi pour une élection partielle. Je n'en revenais pas d'entendre ça!» a soutenu M. Charest.

Colère

Enfin, Me Bellemare s'était offusqué de ne pouvoir nommer Georges Lalande comme sous-ministre en titre au départ de Me Michel Bouchard. M. Charest se souvient bien du coup de fil qu'il avait reçu à New York de son ministre furieux, en octobre 2003. «Il faisait une crise à ce moment-là. L'objet de la crise était qu'on allait nommer Louis Dionne comme sous-ministre à la Justice. Il y avait des tensions très fortes au ministère qui était dans un état terrible. M. Bellemare ne parvient pas à travailler à son ministère. On faisait face à une situation particulière, il fallait quelqu'un avec de la pogne, de costaud, qui puisse ramener de l'ordre compte tenu que le ministre avait des problèmes», a résumé M. Charest.

Le licenciement de Pierre Legendre et le départ de Michel Bouchard, le sous-ministre qui ne pouvait s'entendre avec M. Bellemare, l'avaient chagriné. Ce fonctionnaire exemplaire a d'ailleurs repris du service à Québec après son exil au fédéral, a rappelé M. Charest.

Ce matin, M. Charest poursuit son témoignage et il sera questionné par l'avocat de Marc Bellemare, Jean François Bertrand.