Les deux plus proches collaborateurs de Marc Bellemare à l'époque où il était ministre de la Justice sont venus lundi tailler en pièces son témoignage sur les «pressions colossales» dont il aurait été l'objet pour nommer des amis du Parti libéral du Québec à la magistrature.

Michel Gagnon, ancien chef de cabinet de Marc Bellemare, et Jacques Tétrault, qui a été son attaché de presse, ont réfuté catégoriquement les allégations qu'il a faites au mois d'août devant la commission Bastarache.

Leurs dépositions en disaient long lundi sur le climat tendu et chaotique qui régnait au cabinet de Marc Bellemare. Issu d'un tout petit cabinet d'avocats, il comprenait mal le fonctionnement d'un ministère qui comptait 3500 employés et doté d'un budget de 600 millions de dollars.

Les deux hommes sont catégoriques: ils n'ont jamais entendu parler des pressions qu'auraient faites les argentiers libéraux Franco Fava ou Charles Rondeau sur Me Bellemare pour obtenir la nomination ou la promotion de magistrats.

Toujours sous serment, ils indiquent de plus que jamais ils n'ont pris de repas avec aucun des deux responsables du financement du PLQ.

Dans son témoignage, Me Bellemare misait beaucoup sur la corroboration que devaient apporter ses deux anciens collaborateurs. Il a soutenu que l'un ou l'autre se trouvait à coup sûr avec lui quand, au restaurant, Franco Fava avait lourdement insisté pour que Marc Bisson soit nommé juge à Longueuil.

De plus, Me Bellemare a soutenu s'être ouvert à l'époque à ces deux hommes des pressions qu'il subissait.

Pas au courant

Lundi, MM. Gagnon et Tétrault ont tous deux soutenu avoir appris l'existence de ces pressions quand Me Bellemare en a parlé aux médias, au printemps dernier.

«J'ai été surpris de ces allégations, a dit Michel Gagnon. Quand on travaille dans un cabinet, on est à sept jours par semaine. Cette année-là avait été rock'n'roll, il s'était passé beaucoup de choses. On se racontait beaucoup nos affaires. Aussi, cela m'a surpris d'entendre ça sept ans plus tard.»

Selon lui, la première responsabilité du chef de cabinet est de protéger son ministre. «S'il m'en avait parlé, j'aurais pris avec le sous-ministre les mesures pour le protéger (contre ces pressions). J'aurais pris action tout de suite, par réflexe.»

Michel Gagnon a aussi contredit son ex-patron, qui l'avait décrit entrant en coup de vent dans son bureau, livide, pour lui annoncer que Pierre Legendre, haut fonctionnaire à la Justice, était le frère de Richard Legendre, alors ministre péquiste. «C'est peut-être lui qui était blanc...» a-t-il ironisé. M. Gagnon était un ami de jeunesse de Richard Legendre, qui lui avait dit à la blague: «Fais attention à mon petit frère», sans jamais, dit-il, y mettre le caractère de menace décrit par Me Bellemare dans sa déposition.

Il a contredit sans ménagement une autre affirmation de Me Bellemare, selon laquelle jamais Franco Fava n'avait été appelé à participer au financement de sa campagne municipale (Me Bellemare avait fondé en 2005 un nouveau parti, Vision Québec). Or, Michel Gagnon se souvient clairement d'avoir participé à l'une des premières réunions du nouveau parti avec Franco Fava et Charles Rondeau. M. Bellemare a même échangé avec M. Fava, qui jugeait «irréalistes» ses objectifs de financement pour une campagne à la mairie, a dit M. Gagnon.

Ancien journaliste, Jacques Tétrault est venu lui aussi réfuter les souvenirs de son ex-patron. Quand il a vu les reportages, en avril dernier, il dit en avoir été renversé. «Je ne comprends pas qu'il ne nous en ait pas parlé. C'était pour moi un élément complètement nouveau. On passait des heures au cabinet, durant des semaines, dans les dossiers, et moi je n'avais pas eu vent de ça!»

Il décrit son patron comme un individu «secret», «un peu flou», méfiant, qui menait en parallèle son propre programme avec les médias. Il disparaissait parfois, se transformait en «fantôme». À plusieurs reprises, il s'est mis dans le pétrin, et l'en sortir a quelquefois été délicat. Tétrault a d'ailleurs dû intervenir, le jour où son patron a démissionné, pour l'empêcher de publier une lettre «pleine de fiel» qui éreintait Jean Charest et ses collègues, un texte «qui n'était pas digne» d'accompagner la démission d'un ministre.

Un jour noir

Selon M. Tétrault, le départ de Marc Bellemare a été un jour noir pour tous les employés du cabinet. «Quand Me Bellemare a quitté, ce n'était pas dans la joie et l'allégresse. J'ai évoqué avec un minimum de détails le chaos dans les rapports avec le Ministère et le bureau du premier ministre. Pendant trois mois, j'ai été persona non grata, chez nous, à attendre un coup de téléphone. Ses déclarations, pour nos carrières, cela a été une catastrophe.»

À plusieurs reprises, le commissaire Bastarache s'est montré irrité par les questions et l'attitude de Rénald Beaudry, l'avocat de Me Bellemare, notamment quand ce dernier a demandé à Jacques Tétrault s'il avait discuté de son témoignage avec sa patronne actuelle chez Cossette, Isabelle Perras, issue elle aussi du cabinet de Jean Charest.

Me Beaudry a même demandé au témoin s'il avait dit la vérité, ce qui a fait rugir l'ex-juge Bastarache: «C'est une question inadmissible! Vous lui demandez s'il se parjure!» a relevé l'ancien juge de la Cour suprême.