Important argentier du PLQ dans la région de Québec, Franco Fava est déjà intervenu auprès du premier fonctionnaire du gouvernement du Québec, Gérard Bibeau, pour lui suggérer des candidats à des nominations gouvernementales.

Mais M. Bibeau, qui témoignait mercredi en fin de journée devant la commission Bastarache, a bien vite précisé que jamais M. Fava ne lui avait suggéré de candidat à un poste de juge.

Avant d'être nommé président de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), M. Bibeau avait été pendant deux ans secrétaire général associé aux emplois supérieurs. À ce titre, il était responsable de l'ensemble des nominations du gouvernement.

Des connaissances

Les deux hommes se connaissent depuis des années - Bibeau a été chef de cabinet de Norm Cherry au Travail à la fin des années 80, quand Franco Fava était le négociateur patronal de l'industrie de la construction. M. Fava a siégé pendant 20 ans au conseil d'administration de la CSST, où Gérard Bibeau a travaillé, comme cadre supérieur puis comme président, pendant 12 ans. Les deux hommes sont déjà allés dîner ensemble au Michelangelo, restaurant de prédilection de M. Fava.

Devant la commission Bastarache, l'ancien ministre Marc Bellemare a longuement insisté sur l'influence de M. Fava dans les nominations du gouvernement Charest. Selon lui en 2003, M. Fava avait lourdement fait pression pour certains candidats qui ont été nommés juges.

«Quand j'étais aux emplois supérieurs, ce n'est pas impossible qu'il m'ait parlé de candidats qui pouvaient accéder à différentes fonctions, mais il n'y a jamais eu de pressions de sa part», a pour sa part indiqué M. Bibeau. Il soutient que jamais Fava n'a parlé de candidats à la magistrature avec lui.

Fait intéressant, M. Bibeau a révélé qu'il a parlé «une ou deux fois» à M. Fava depuis le début des audiences de la commission Bastarache. Me Suzanne Côté, procureure du gouvernement, a aussitôt objecté que cela ne faisait pas partie du mandat de la Commission, ce que le commissaire a accordé.

L'argentier libéral avait aussi soutenu publiquement qu'il avait joué un rôle important dans la nomination de Gérard Bibeau à titre de secrétaire général du gouvernement - l'équivalent du sous-ministre de Jean Charest. Son prédécesseur André Dicaire a toutefois contredit M. Fava: c'est lui qui avait proposé Gérard Bibeau pour le remplacer lorsqu'il est parti, en 2006, pour des raisons de santé.

L'adjoint de Gérard Bibeau, Me Yves Pleau, a révélé mercredi que, depuis 2007, les suggestions du ministre de la Justice pour les postes à la magistrature se retrouvaient sur le bureau de Chantal Landry, responsable des nominations au cabinet Charest. Essentiellement, explique-t-il, elle s'assure que le premier ministre est informé à l'avance de la proposition que compte faire le titulaire de la Justice.

«Elle n'a jamais soulevé de problème ; elle a toujours dit que tout est beau», a résumé Me Pleau.

Jamais elle n'est intervenue pour stopper une recommandation ou pour orienter un choix, a précisé le fonctionnaire.

Le cas Kathleen Weil

Ironiquement, l'ex-ministre de la Justice Kathleen Weil s'est plongée dans la controverse, au printemps dernier, lorsqu'elle a admis qu'elle discutait au préalable des nominations des juges avec «le patron», Jean Charest.

Or, des témoignages de MM. Dicaire, Pleau et Bibeau, il ressort clairement que le premier ministre est systématiquement mis au courant de ces nominations plusieurs jours à l'avance. Les choix du ministre de la Justice n'ont jamais suscité d'objections, ni de sa part ni d'un autre ministre. Huit fois, dont deux pendant le mandat de Marc Bellemare, la nomination d'un juge a été retardée d'une ou deux semaines, à la demande de M. Charest. L'une d'elles était celle de Line Gosselin-Després, parente de l'ancien ministre Michel Després.

Chasse aux sorcières

Par ailleurs, André Dicaire et Gérard Bibeau n'ont pas été tendres dans leurs commentaires sur le style de gestion de Marc Bellemare lorsqu'il dirigeait le ministère de la Justice.

Tant M. Dicaire que Bibeau ont relevé qu'il éprouvait «un inconfort» avec plusieurs mandarins de son ministère, des fonctionnaires de carrière qu'il soupçonnait de sympathies péquistes.

Le ministre Bellemare a vite obtenu d'André Dicaire qu'il déplace Me Brigitte Pelletier, qui avait travaillé comme chef de cabinet de Bernard Landry dans les mois précédant l'élection de 2003. Elle a été nommée vice-présidente à la Commission des normes du travail.

Mardi, un autre sous-ministre adjoint, Pierre Legendre, est venu expliquer qu'il a été mis de côté pour son péché: être le frère de Richard Legendre, ancien ministre péquiste.

Mercredi, M. Bibeau a ajouté que Me Bellemare voulait aussi obtenir le départ de Mario Bilodeau, sous-ministre adjoint aux affaires criminelles, arrivé au Ministère avec Paul Bégin. Même Me Michel Bouchard, sous-ministre à la Justice depuis 10 ans, était dans la ligne de mire de Me Bellemare.

Ce dernier voulait avoir comme sous-ministre George Lalande, ancien député libéral qui, la semaine dernière, a corroboré en partie les allégations de son ancien patron. M. Lalande était sous-ministre adjoint à la Justice et devait atterrir au Tribunal administratif du Québec si la réforme de Marc Bellemare aboutissait.

Mercredi, André Dicaire a expliqué que, exaspéré par l'atmosphère difficile au Ministère, Michel Bouchard a fini par accepter un emploi au ministère de la Justice à Ottawa. Le premier ministre Charest s'est montré déçu du départ de ce mandarin québécois aux longs états de service.

Mécontentement de Me Bellemare

En revanche, Me Bellemare n'a pas obtenu la nomination de George Lalande. Avec l'appui de M. Charest, André Dicaire a fait nommer Me Louis Dionne, grosse pointure de la Couronne.

Me Dionne est passé par la suite à la Sécurité publique au retour de Michel Bouchard. Plus récemment, il a été nommé directeur des poursuites criminelles et pénales.

Devant la commission Bastarache, Me Bellemare avait rappelé avec mécontentement la nomination de Me Dionne. «Je ne choisis pas les juges et je ne choisis pas mon sous-ministre», avait-il lancé à l'époque à Jean Charest.