Fonctionnaire responsable de la nomination des juges au ministère de la Justice, Nicole Breton avoue ne pas savoir pourquoi le gouvernement n'a pas nommé un candidat qui, en octobre 2003, avait satisfait à l'enquête de la Sûreté du Québec.

Deux semaines plus tard, le gouvernement Charest a opté pour Guy Bisson, avocat de l'Outaouais appuyé par l'argentier libéral Franco Fava, pour un poste de magistrat dans le district de Longueuil.

«Il y en a un qui passait l'enquête de sécurité. Pourquoi il n'a pas été nommé? Je n'en ai aucune idée», a dit Mme Breton, en fin de journée mardi, dans son témoignage devant la commission Bastarache.

Marc Bellemare avait soutenu dans son témoignage que, dès le 2 septembre 2003, il avait eu de Jean Charest l'ordre de nommer Me Guy Bisson à la magistrature.

Quelques faits difficiles à expliquer

Son témoignage se heurte toutefois à quelques faits difficiles à expliquer. Mme Breton avait eu à demander une enquête de sécurité sur un autre candidat auparavant. Celui-ci n'a pu être retenu parce que la SQ avait constaté qu'il avait été reconnu coupable par la Cour auparavant - l'infraction n'a pas été rendue publique. Un autre candidat avait été mis de côté pour les mêmes raisons par la suite, finalement un troisième a réussi le test de sécurité sans être retenu pour autant.

Les fonctionnaires de la Justice ont aussi contredit l'ex-ministre Bellemare en indiquant que la demande de vérification à propos de Guy Bisson avait été faite et reçue le même jour. Me Bellemare avait soutenu que le rapport reçu le 7 novembre 2003 avait été commandé plusieurs semaines plus tôt.

Ancien bras droit du sous-ministre à la Justice, Pierre Legendre est par la suite venu carrément contredire la version donnée par l'ex-ministre Bellemare sur sa mise au rancart à l'été 2003. Me Bellemare avait soutenu que son chef de cabinet, Michel Gagnon, livide, l'avait prévenu quelques semaines après sa nomination que Me Legendre était le frère du député péquiste Richard Legendre. Selon M. Legendre, Michel Gagnon savait dès son arrivée à la Justice qu'il était le frère du politicien, un ami d'adolescence.

Le ministre Bellemare avait à plusieurs reprises signifié son agacement face à cette situation au sous-ministre Michel Bouchard. L'ancien député péquiste corrobore ces observations. «Mon frère n'a jamais été identifié politiquement, deux frères ne pensent pas nécessairement de la même façon, il y a Daniel et Pierre Marc Johnson...» a rappelé Richard Legendre, selon qui son frère a été bien injustement «tabletté» à l'époque.

Le ministre Bellemare s'inquiétait de voir le haut fonctionnaire «manger sa sandwich» avec les gens de son cabinet politique, il craignait les indiscrétions. Pierre Legendre se souvient de ce dîner et, à l'époque, sa filiation était déjà bien connue du ministre. Il avait déjà été déplacé. Sa femme Maureen connaissait depuis plus de 20 ans la femme d'origine cambodgienne de Marc Bellemare, Me Lu Chan Khuong, devenue depuis bâtonnière de Québec.

Attaques de Bellemare

Marc Bellemare a cependant eu quelques munitions dans les dépositions de mardi. Une des coordonnatrices des nominations de juges a souligné que les recommandations pour les représentants du public aux comités de sélection semblaient venir à deux reprises au moins de Chantal Landry, employée politique au cabinet de Jean Charest. Selon Me Bellemare, Mme Landry a toujours joué avec Franco Fava un rôle déterminant dans les nominations. En outre, la commission a reçu une lettre de Marc Bellemare au juge en chef, Guy Gagnon, dans laquelle il repousse un candidat proposé par le magistrat pour le district de Longueuil, parce que ce dernier n'est pas issu du barreau local.

Étincelles juridiques

D'entrée de jeu mardi, l'avocat de Marc Bellemare, Rénald Beaudry, a fait savoir qu'il n'allait pas contre-interroger son client, en dépit de ce qui avait été entendu la semaine dernière.

Selon lui, la commission Bastarache est un exercice tendancieux, «dont le but fondamental est de discriminer (son) client dans l'opinion publique et d'alimenter la cause en libelle de M. Charest». La directive de Marc Bellemare à son procureur est «très claire: surveiller le règlement de comptes politique».

Me Beaudry a déploré ne pas avoir eu accès qu'aux transcriptions de six interrogatoires préalables sur la quarantaine de témoins attendus à la commission. Selon Guiseppe Battista, procureur de la commission, Me Beaudry a eu droit au même traitement que tous les autres - les témoignages des témoins de la semaine sont accessibles à l'avance.

«Il y a risque évident de manipulation de la preuve, ceux qui n'ont pas passé pourront changer leur version... On doit remettre toute la preuve dans un procès pour assurer un sentiment de fair-play», a lancé Me Beaudry, qui s'oppose désormais à chaque témoignage faute de ces déclarations préalables - objections repoussées d'un revers de main par l'ex-juge Bastarache.

«Votre intervention est un plaidoyer politique plus qu'autre chose, c'est moi qui ai à vérifier le mandat de la Commission. Si vous n'êtes pas satisfait de la façon dont je contrôle, vous pouvez faire des objections.

«Je n'accepte pas qu'on dise que les avocats de la Commission pourraient modifier la preuve, permettre de modifier les «will say»», a dit sans détour l'ancien juge Bastarache.

Procureur du gouvernement du Québec, Me Suzanne Côté a été encore plus incisive. «Manipuler la preuve, je n'ai jamais pratiqué comme ça et je n'ai pas l'intention de commencer aujourd'hui. Je suis un peu estomaquée de la déclaration de Me Beaudry», a-t-elle lancé.