Sur le plan médiatique, la commission Bastarache est à ce jour moins spectaculaire que la commission Gomery.

Au plus fort de la commission présidée par le juge Gomery, le Réseau de l'information (RDI) avait triplé ses cotes d'écoute, attirant jusqu'à 180 000 téléspectateurs lors des moments de haute tension. Jusqu'ici, les cotes d'écoute de la commission Bastarache sont plus modestes: certains jours, elle attire environ 75 000 personnes à RDI et autour de 120 000 à LCN. On n'est donc pas face au même phénomène médiatique qu'en 2005.

Il faut dire que le thème de la Commission - la nomination des juges - frappe moins l'imaginaire populaire que le scandale des commandites.

Selon Jean-Jacques Stréliski, professeur associé à HEC Montréal, c'était à prévoir, car le cadre de la commission Gomery était différent. «On abordait les liens entre le monde politique et celui de la publicité, il y avait un bouc émissaire, bref, les rôles étaient bien impartis et il y avait quelque chose d'assez juteux pour le grand public.»

Le mandat de la commission Bastarache est beaucoup plus pointu. «Dans ce cas-ci, on est face à un enjeu très technique et compliqué, explique Frédérick Bastien, professeur adjoint au département information et communication de l'Université Laval. Ce qui peut alimenter l'intérêt du public, c'est que cela prend l'allure d'un règlement de comptes entre deux individus, Jean Charest et Marc Bellemare.»

Un sujet plus complexe, donc, porté par des acteurs moins «colorés» que ceux qui défilaient devant le juge John Gomery. Cinq ans plus tard, personne n'a oublié les trous de mémoire de Jean Lafleur et les larmes de Jean Brault. «À la commission Gomery, les témoins étaient attendus comme des stars, affirme Yves Dupré, président du conseil d'Octane Stratégies. Ici, on est face à des sous-ministres, des directeurs de cabinet. Ils n'ont pas le même impact médiatique.»

«Les témoins qui défilaient à la commission Gomery étaient tout droit sortis de la commedia dell'arte, renchérit Josée Legault, politologue et chroniqueuse à l'hebdomadaire Voir. Les individus qui défilent à la commission Bastarache sont faits d'un autre bois. Ce sont tous des avocats, du juge aux procureurs en passant par le témoin, Me Bellemare. Le mot «maître» est prononcé 22 000 fois par jour. C'est très solennel.»

Ajoutons à cela que le juge Bastarache est un homme plutôt discret et que le témoin principal, l'ancien ministre de la Justice, ne verse jamais dans l'émotion. «Le calme de Me Bellemare est frappant, poursuit Josée Legault. Il est clair, déterminé, documenté. Il a beaucoup impressionné les gens qui avaient la perception qu'il était un loose cannon hystérique.» «Le juge Bastarache est très effacé au point de vue médiatique, note pour sa part Yves Dupré. Quand Gomery intervenait, on arrêtait de respirer.»

«Ce genre de commission n'est pas conçu pour répondre à des exigences dramatiques, rappelle pour sa part Frédérick Bastien, de l'Université Laval. Le juge Bastarache a peut-être pris note des reproches qui avaient été faits à Gomery.»

Les commissions d'enquête ne sont pas des pièces de théâtre, c'est vrai. Mais il y a tout de même une part de mise en scène qu'il est intéressant d'analyser. «À la commission Gomery, la hauteur des tables, des fauteuils, tout était calculé, note Jean-Jacques Stréliski. Il y avait beaucoup de théâtralité. S'asseoir dans le fauteuil du témoin, c'était s'asseoir dans la chaise de l'accusé. En outre, il y avait des pleurs, des rires, des moments cocasses et des coups d'éclat. Ici, on a un politicien de base très concentré sur son sujet.»

Chose certaine, tout le monde s'accorde à dire que le meilleur est à venir. «La toile de fond se tisse lentement, dit Josée Legault. Même si la commission Bastarache est moins spectaculaire que le scandale des commandites, il y a tout de même quelque chose de fondamental en jeu. Il est question de l'intégrité de nos institutions publiques, ce n'est pas rien.»

Le juge Bastarache a demandé que les travaux de la Commission soient prolongés au-delà de la date prévue. Il reste encore une quarantaine de témoins à entendre, dont le premier ministre du Québec, Jean Charest. Sur le plan médiatique, il faut donc s'attendre à des rebondissements. Et l'intérêt des Québécois risque d'augmenter au fil des semaines.

S pour joindre notre journaliste: ncollard@lapresse.ca