Denis Roy, ancien attaché politique du premier ministre Jean Charest, a reconnu hier avoir donné des conseils à Marc Bellemare lorsqu'il était ministre de la Justice. Il a discuté avec lui d'un procès criminel, celui des Hells Angels, mais ce n'était pas une ingérence, a-t-il dit.

Au contraire, il a justement conseillé à M. Bellemare de ne pas intervenir dans le procès et de respecter l'indépendance du pouvoir judiciaire, a dit en substance M. Roy.

Mardi, M. Bellemare a déclaré à la commission Bastarache que M. Roy était intervenu auprès de lui dans un procès criminel, en août 2003. Il n'a pas précisé lequel et n'a pas dit de quelle nature avait été cette intervention.

M. Roy, qui est avocat, était à l'époque conseiller au bureau du premier ministre. Depuis, il a été nommé président de la Commission des services juridiques, qui chapeaute les services d'aide juridique. En fin de journée, hier, il a tenu une conférence de presse pour défendre sa réputation.

Il a dit qu'il avait en effet rencontré M. Bellemare à la demande du chef de cabinet de M. Charest. Les deux hommes ont parlé du superprocès des Hells Angels, a dit M. Roy. Il a rappelé la chronologie des événements.

Le procès des Hells Angels a commencé en septembre 2001, à la suite d'arrestations massives faites au printemps. C'était «un procès d'une ampleur sans précédent, possiblement le plus grand procès criminel de l'histoire du Québec», a rappelé l'ancien conseiller.

Au printemps 2003, les avocats des Hells ont soumis une proposition de règlement. La plupart des accusés étaient prêts à plaider coupable, mais ils voulaient faire réduire les peines de prison. Les négociations ont commencé avec la Couronne. Le juge s'en est mêlé.

Le 4 août, le procureur en chef, André Vincent, est parvenu à une entente avec les avocats de la défense. Le ministre Marc Bellemare trouvait que les peines étaient trop légères. Il a rencontré Me Vincent et lui a dit de faire une autre offre aux avocats de la défense.

Me Vincent s'est senti désavoué. Les avocats de la défense ont présenté une requête pour faire arrêter le processus parce que le ministre était intervenu. En clair, l'arrêt de procédure signifiait un acquittement. Le juge Réjean Paul, furieux, a renvoyé le jury le 11 août en attendant la suite des événements.

Inquiétudes au bunker

Le bureau du premier ministre s'est inquiété de voir le procès des Hells avorter en raison de l'intervention de M. Bellemare. M. Roy a donc été mandaté pour aller rencontrer le ministre. «Je lui ai souligné l'importance de rester prudent et de respecter la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire, a dit M. Roy hier. Je lui ai suggéré de manifester toute sa confiance à l'égard du procureur au dossier, André Vincent. Mon intervention était pertinente et importante dans le contexte. Je ne faisais aucune menace. D'ailleurs, M. Bellemare ne m'a manifesté aucun inconfort.»

M. Roy a assuré que cette rencontre s'est déroulée après le 11 août, lorsque le juge avait renvoyé le jury, et qu'il ne pouvait donc pas s'agir d'une «ingérence» de sa part. Il a dit qu'elle s'est tenue avant le 2 septembre mais ne se souvient pas de la date exacte.

Ces explications n'ont pas rassuré le Parti québécois. «M. Roy confirme qu'il est intervenu», a dit la députée Véronique Hivon, porte-parole de l'opposition officielle en matière de justice.

«Il a confirmé qu'il a parlé d'un procès avec M. Bellemare. Je m'explique mal qu'un conseiller politique qui agit pour le premier ministre aille conseiller le ministre de la Justice sur la marche à suivre dans un procès. Je trouve ça très particulier. Le ministre est déjà entouré d'experts. À ce que je sache, M. Roy n'est pas un avocat spécialisé en droit criminel.»

Mme Hivon reproche au nouveau ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, de prendre à la légère ces nouvelles allégations de M. Bellemare. Le PQ souhaite une enquête sur ce sujet précis.

M. Fournier a refusé de faire des commentaires. Il a laissé entendre qu'il n'y aura pas d'enquête. Questionné par les journalistes quelques instants avant la conférence de presse de M. Roy, il a dit que ce dernier allait donner toutes les explications nécessaires.

Par ailleurs, M. Roy a refusé de dire s'il avait déjà vu Franco Fava au bureau du premier ministre. (M. Bellemare affirme que M. Fava, entrepreneur de Québec, lui a suggéré des noms de juges. Il ajoute que M. Charest lui a demandé d'écouter ces suggestions.) M. Roy a aussi refusé de répondre aux questions sur le rôle de Chantal Landry, qui était à la fois responsable de la nomination des juges au bureau du premier ministre et agente de liaison du bureau avec le Parti libéral du Québec.