La commission Bastarache n'est qu'un exercice «tendancieux», «inutile et abusif», puisque la poursuite civile de Jean Charest contre Marc Bellemare fera toute la lumière sur les allégations de trafic d'influences dans la nomination de trois juges.

C'est ce qu'a soutenu le principal intéressé, l'ancien ministre de la Justice Marc Bellemare, qui était de retour au tribunal mardi après-midi. Il a témoigné au palais de justice de Québec dans sa requête visant à faire casser sa sommation à comparaître devant la commission Bastarache.

L'audience en Cour supérieure n'a pas été de tout repos pour lui, puisque l'avocat de Michel Bastarache, Jacques Larochelle, l'a attaqué sur ses multiples déclarations dans les médias. Aussi, la juge Alicia Soldevila a semblé parfois agacée par son témoignage qui prenait les allures d'une plaidoirie.

Me Bellemare a fait valoir que la commission Bastarache n'est qu'un «geste vengeur» de M. Charest qui n'a que pour seul but de favoriser sa poursuite au civil de 700 000 $. Il en tient notamment pour preuve que le jour même du décret de la création de la commission Bastarache, le 14 avril, il a reçu la requête en dommages de M. Charest, qui agit à ce titre comme simple citoyen.

C'est un «abus de pouvoir, a-t-il soulevé, parce que le premier ministre utilise son pouvoir de chef de gouvernement pour mettre sur pied une commission d'enquête sur sa requête (au civil) en dommages».

Il a même ajouté qu'il s'agit d'un «détournement de fonds», puisque M. Charest met ainsi les ressources de l'appareil gouvernemental au service de sa poursuite privée.

Me Bellemare assure n'avoir jamais porté atteinte au processus de nomination dans le système judiciaire, ce que la commission est censée examiner. Il dénonce plutôt les pressions qu'il a subies dans le cas très strict de la nomination de trois juges.

«(Le mandat élargi) est purement une diversion», a-t-il dit.

Par ailleurs, il entretient des «craintes majeures» sur les procédures de la commission, qui ne sont pas celles des tribunaux et qui peuvent être fixées ou modifiées par le commissaire.

«C'est un immense bol où on va ramasser toutes sortes de preuves qui ne seraient pas admissibles en cour», a-t-il affirmé, ce qui pourrait biaiser le processus d'admissibilité de la preuve et même influencer la poursuite civile en Cour supérieure.

Il a rappelé qu'il n'a pas le statut de participant, mais de témoin à la commission, et qu'il peut donc être interrogé par les six avocats des participants reconnus, notamment le Parti libéral du Québec ou Jean Charest, parmi lesquels il ne compte «aucun allié».

«C'est profondément injuste. C'est à des lieues de ce que les poursuites civiles permettent. On veut m'amener dans un monde où il n'y a aucune rigueur», a fait valoir Me Bellemare.

Enfin, il affirme que, contrairement à la pratique, il n'a pas été consulté pour la nomination du commissaire, pour ainsi garantir son impartialité. Qui plus est, le ministre de la Sécurité publique d'alors, Jacques Dupuis, avait admis qu'il connaissait M. Bastarache et l'avait personnellement approché. Et a fortiori, Me Bastarache travaille pour le cabinet Heenan-Blaikie, qui obtient des contrats du gouvernement.

«Le commissaire doit jauger ma crédibilité et celle du premier ministre. Il est inacceptable qu'il doive jauger la crédibilité de deux personnes dont l'une est celle qui l'a nommé.»

En conclusion, il «craint le pire», un préjudice irréparable, s'il doit témoigner à la commission.

En contre-interrogatoire, Jacques Larochelle a tenté de soulever des contradictions dans les nombreuses entrevues qu'a accordées Me Bellemare.

Le représentant de Me Bastarache lui a demandé pourquoi il remettait en cause l'intérêt public de la commission, alors qu'il a rapporté à M. Charest les pressions dont il a été l'objet et que ce dernier aurait dit: «c'est comme ça que ça marche».

Il a aussi fait admettre à Me Bellemare qu'il présumait que M. Dupuis connaissait «personnellement» Me Bastarache, sans en avoir la preuve. De même, la seule raison pour laquelle Me Bellemare pense que Michel Bastarache connaît M. Charest, c'est que, alors juge de la Cour suprême, il lui avait demandé de «saluer M. Charest» en 2004.

Aussi, il lui a demandé pourquoi il doutait des règles de procédure, s'il pensait qu'un témoin pouvait non seulement se parjurer à la commission, mais aussi par la suite en Cour supérieure.

Enfin, Me Larochelle a fait témoigner un membre de l'exécutif de Heenan-Blaikie, Jacques Dupont. Il a indiqué que son cabinet n'a qu'un seul mandat avec le gouvernement, et quelques-uns depuis de nombreuses années avec les sociétés d'État, dont certains obtenus par appels d'offres et non par la voie discrétionnaire.

Me Dupont a aussi indiqué que le rôle de Me Bastarache se limitait à être avocat-conseil pour ses autres collègues, et non à faire du «développement des affaires».

L'audience reprendra mercredi matin.