Dites aux résidants du Nebraska que leur État a été cité par le Parti québécois lors de sa présentation du projet de loi sur la charte des valeurs et vous aurez droit à des regards pour le moins perplexes.

C'est que la loi du Nebraska interdisant aux professeurs de porter un signe religieux dans les écoles publiques a été promulguée il y a près de cent ans et ses citoyens en ont pratiquement tous oublié l'existence.

Le ministre responsable du projet de loi et candidat dans Marie-Victorin, Bernard Drainville, avait l'an dernier rappelé que la France, la Suisse et la Belgique avaient toutes instauré des politiques semblables.

Et même aux États-Unis, avait-il poursuivi, deux États - le Nebraska et la Pennsylvanie -, n'autorisent pas les symboles religieux à l'intérieur d'écoles publiques.

«Ce n'est pas comme si le débat démocratique qu'on souhaite au Québec n'avait pas lieu ailleurs», avait-il déclaré au Globe and Mail.

Il s'avère qu'un troisième État américain fait partie de cette liste, l'avocate Mona Elgindy, originaire de l'Illinois, ayant rédigé un rapport de recherche à cet égard il y a quelques années.

L'Oregon avait de son côté abrogé une loi adoptée en 1923 et inspirée de l'idéologie du Ku Klux Klan.

En Pennsylvanie, la loi adoptée en 1949 a été appliquée dans une affaire remontant aux années 1980 puis, en vain, dans deux autres cas, indique Mme Elgindy dans son papier.

Il faut remonter à février 1919 au Nebraska pour l'adoption du projet de loi légiférant dans ce dossier. Les représentants avaient alors adopté le texte prévoyant des sanctions contre les professeurs arborant des signes religieux dans les établissements publics.

Ils visaient, avec cette loi, les soeurs catholiques. Les enseignantes s'exposaient à une suspension d'un an de même qu'une amende de 100 $ ou un emprisonnement de 30 jours.

Il reste que les résidants du Nebraska semblent tout ignorer de cette loi, encore plus qu'elle a été citée par le ministre Drainville dans sa défense du controversé projet de loi.

Lors d'un récent séjour de La Presse Canadienne dans cet État du Midwest américain, un politicien chevronné, un analyste juridique, un historien, un militant, de nombreux représentants de commissions scolaires et de syndicats de professeurs, entre autres, en ignoraient tout.

«C'est le genre de lois que je qualifie de lettre morte. Ce qui veut dire qu'elle existe mais qu'elle n'a jamais été appliquée», a souligné le représentant Ernie Chambers.

Il a refusé de commenter le débat en cours dans la Belle Province mais a indiqué avoir été déchiré en apprenant l'existence de la loi du Nebraska. S'il apprécie le fait que les signes religieux soient maintenus à l'extérieur des salles de classe, il n'aime pas qu'une telle mesure soit liée à la menace de sanctions criminelles.

Quoi qu'il en soit, M. Chambers ne tentera pas d'amender la loi, soulignant qu'elle ne figure pas au sommet de ses priorités et qu'il ne s'agit là que d'une vieille loi parmi tant d'autres qui ne sont pas appliquées par les autorités du Nebraska.

Un étudiant universitaire rencontré au centre islamique d'Omaha a par ailleurs dénoncé le fait que le Nebraska ait été cité dans le débat en cours.

«Ils trompent les gens. Ils utilisent un exemple d'une loi qui n'est pas appliquée», a lancé Samyr El-Refaie.

«C'est comme une loi sur les kangourous. Certains États ont ces lois complètement folles qui ont été adoptées dans les années 1800 du genre : posséder un kangourou est un crime fédéral, ou le fait de rester éveillé passé minuit pourrait vous attirer des ennuis. C'est une loi qui n'est tout simplement pas appliquée.»