En taillant en pièce le projet de charte péquiste de la laïcité, le Barreau «propose essentiellement le statu quo», regrette Bernard Drainville.

Le Barreau va moins loin que la commission Bouchard-Taylor. Il déconseille d'interdire le port de signes religieux, même pour les agents coercitifs de l'État comme les juges ou les policiers. Il rappelle que la Cour d'appel fédérale s'est prononcée en faveur du port du turban pour un agent de la GRC.

Le ministre Drainville aurait souhaité que le Barreau appuie au moins le «consensus très, très fort» des autres aspects du projet de loi qui rallient libéraux, caquistes et solidaires: la neutralité de l'État, l'obligation de donner et recevoir des services à visage découvert et les balises pour que les accommodements religieux respectent l'égalité homme - femme.

M. Drainville soutient que le Barreau a négligé les modifications proposées à la charte québécoise des droits, un texte quasi constitutionnel. On y ajouterait la laïcité et la neutralité de l'État, ce dont les juges devraient désormais compte.

Mais pour le Barreau, la neutralité religieuse ne doit pas être confondue avec l'invisibilité de la religion. Elle «favorise au contraire la manifestation harmonieuse des consciences et des croyances individuelles», lit-on dans son mémoire. L'État devrait donc «ni favoriser, ni défavoriser» les croyances religieuses. Cette position rejoint celle du chef libéral Philippe Couillard.

Le Barreau rappelle que selon la jurisprudence, si on limite la liberté de religion, il faut prouver qu'on règle un problème documenté, et non des perceptions. Et il faut ensuite prouver que les moyens pris sont proportionnels à l'objectif, avec une atteinte minimale aux droits. Aucune étude n'a été fournie par le gouvernement, souligne le Barreau. Le ministre Drainville répond qu'on peut aussi légiférer pour défendre des principes.

Critique «extrêmement importante», selon les libéraux

«Il est très clair que l'interdiction mur à mur ne tient pas la route» et est «déraisonnable», a réagi le libéral Marc Tanguay.

Le Barreau «parle d'une voix extrêmement importante», dit-il. Cette attaque s'ajoute à celle de la Commission des droits de la personne, qui exprimait cet automne de «vives inquiétudes» face au projet péquiste qui violerait les chartes québécoises et canadiennes des droits et libertés. Et aussi à un avis juridique du ministère de la Justice, secret comme le veut l'habitude, qui conclurait lui aussi que le projet péquiste est inconstitutionnel.

D'autres juristes, comme Claire L'Heureux-Dubé (ex-juge à la Cour suprême), Huguette Saint-Louis (ex-juge en chef de la Cour du Québec) et Roger Tassé (ex-sous-ministre fédéral de la Justice et père de la charte canadienne des droits) ont déjà affirmé que le projet péquiste pourrait passer le test de la Cour suprême. Le constitutionnaliste Henri Brun a aussi écrit un avis juridique en ce sens à la commande du gouvernement péquiste.

Mais leur opinion reste minoritaire parmi la communauté juridique, observe Marc Tanguay. «Il est important d'écouter l'avis du Barreau», plaide-t-il. 

Le ministre Drainville demande aux élus de ne pas présumer de la décision de la Cour suprême, et de procéder dans l'ordre en faisant leur travail de législateur. 

Rôles inversés

Les rôles s'inversent. Durant le conflit étudiant, le Barreau avait sévèrement attaqué la loi spéciale du gouvernement libéral, qui forçait le retour en classe et limitait les droits fondamentaux, comme la liberté d'expression et de manifester. L'opposition péquiste s'indignait que les libéraux ignorent l'avis du Barreau.

Ce n'est pas la première fois que le Barreau ou la Commission des droits de la personne critiquent les projets de loi liés à la religion. La commission avait dénoncé le projet de loi 94 du gouvernement libéral, qui aurait stigmatisé les musulmanes. On n'interdisait pas le port des signes religieux. On voulait seulement interdire le voile intégral, pour des raisons de sécurité et de communication, et non de laïcité.