Trois mois avant l'attentat de lundi à Saint-Jean-sur-Richelieu, la police avait arrêté Martin Couture-Rouleau et tenté de porter des accusations criminelles contre lui en raison de ses liens avec le terrorisme islamiste. Mais le Service des poursuites pénales du Canada a refusé de l'inculper, car la preuve n'était pas suffisante à ses yeux.

C'est ce qu'a révélé la surintendante Martine Fontaine, responsable des enquêtes sur la sécurité nationale en territoire québécois pour la GRC, hier. Mme Fontaine a confirmé que le jeune homme qui avait tué un militaire et en avait blessé un autre avant d'être lui-même tué par la police lundi à Saint-Jean était dans la ligne de mire de la police depuis juin.

C'est la famille immédiate de Couture-Rouleau qui a alerté la police de Saint-Jean parce que ses idées religieuses extrémistes devenaient franchement inquiétantes. Le corps policier municipal a alerté la Sûreté du Québec, qui a ensuite mis la GRC dans le coup.

«Les proches de Martin Rouleau ont su détecter les changements de comportement et ont demandé l'aide nécessaire», a assuré Mme Fontaine.

«Certains éléments, dont son site Facebook, indiquaient qu'il se radicalisait et qu'il souhaitait quitter le pays pour combattre», a-t-elle ajouté.

Destination Turquie

En juillet, Martin Couture-Rouleau a tenté de s'envoler vers la Turquie, mais il a été stoppé à temps par l'Équipe intégrée de la sécurité nationale, qui regroupe la GRC, la SQ et la police de Montréal. La Turquie est une destination pour plusieurs djihadistes occidentaux qui souhaitent traverser la frontière pour atteindre la Syrie voisine, où le groupe armé État islamique (EI) mène une campagne sanglante pour imposer sa version radicale de l'islam.

La police a arrêté M. Couture-Rouleau et tenté de le faire accuser en vertu de nouvelles dispositions légales adoptées par le Canada en 2013, qui criminalisent le fait de quitter ou de tenter de quitter le pays dans le but de commettre des gestes terroristes.

Mais la Couronne fédérale a jugé la preuve trop faible pour pouvoir l'inculper. Il a donc fallu libérer Couture-Rouleau et changer de stratégie. C'est à ce moment que son passeport a été confisqué.

Questionnée à plus d'une reprise, la surintendante Fontaine a refusé de dire si ses troupes étaient déçues que la Couronne n'ait pas considéré leur dossier comme assez solide pour porter des accusations.

«Nous sommes habitués de nous heurter à des difficultés tous les jours dans notre travail. Et on regarde quelles sont les autres options», a-t-elle glissé prudemment.

Différents moyens ont alors été mis en place pour garder M. Couture-Rouleau à l'oeil. Un leader de la mosquée de Saint-Jean a même collaboré avec la GRC pour tenter de calmer les ardeurs extrémistes du jeune homme. Les policiers ont rencontré Couture-Rouleau plusieurs fois. Lors d'une longue rencontre le 9 octobre dernier, il leur a donné l'impression de vouloir s'amender.

Mais 11 jours plus tard, il fonçait sur des militaires avec son véhicule puis était touché mortellement par les balles de la police locale alors qu'il brandissait un couteau. La police ignorait qu'il préparait un tel coup.

«C'est très difficile lorsqu'une personne planifie seule un geste et qu'il n'y a pas de préparation manifeste et qu'elle utilise un véhicule comme arme», explique la surintendante Fontaine.

Autre projet de voyage 

La GRC n'en a pas parlé en conférence de presse, mais selon nos informations, M. Couture-Rouleau n'en était pas à son premier projet de voyage pour mener le djihad lorsqu'il a été intercepté par la police. Selon ce qu'a appris La Presse, il avait déjà acheté un billet d'avion précédemment et avait raté son vol en raison d'un simple contretemps. Cette fois-là, ce n'était pas la police qui était intervenue.

Toujours selon nos sources, Couture-Rouleau fréquentait aussi une mosquée à Montréal, en plus de celle de Saint-Jean. Mais rien n'indique que des gens là-bas connaissaient ses projets funestes. À Montréal, la police dit veiller au grain.

«La menace que représente [le groupe] État islamique est une préoccupation pour nous et nous la prenons très au sérieux. Nous sommes conscients que cela génère un sentiment d'insécurité dans la population», a déclaré Bernard Lamothe, patron du service des enquêtes spécialisées de la police de Montréal.

Au cours de la journée d'hier, sur le réseau social Twitter, un sympathisant de l'EI qui dit depuis longtemps avoir rejoint le groupe armé au Moyen-Orient et qui se prétend Canadien a louangé Couture-Rouleau pour son geste. 

«Le Canada envoie des jets et des troupes vers les terres musulmanes, et tue notre peuple. Est-ce que vous ne vous attendez pas à ce que les musulmans répliquent?», a demandé celui qui se fait appeler Abu Khalid Al-Kanadi. 

«Musulmans au Canada, suivez les traces de notre brave frère Martin Rouleau qui s'est vengé de l'agression militaire canadienne sur nos terres», a-t-il ajouté.

- Avec la collaboration de Jasmin Lavoie et Gabrielle Duchaine