Les experts de la défense se sont succédé cette semaine devant la Cour supérieure pour dresser le portrait d'un Alexandre Bissonnette « réhabilitable ». Mais malgré des heures passées en compagnie du tueur, ils ont eu du mal à trouver chez lui une empathie sincère pour ses victimes.

Même le juge François Huot s'est permis de remettre en question sa sincérité hier, dans la foulée de révélations glaçantes au palais de justice de Québec.

Lundi, le psychologue Marc-André Lamontagne a d'abord parlé d'une empathie limitée pour les membres de la communauté musulmane et de « remords fluctuants ». Le psychiatre Sylvain Faucher est arrivé aux mêmes conclusions, ajoutant que « l'empathie, ça se travaille ». Sa consoeur Marie-Frédérique Allard a aussi mentionné avoir perçu par moment un manque de considération pour les victimes. Tous trois témoignaient à l'invitation de la défense.

Puis, hier, une autre révélation est venue jeter des doutes sur les remords de celui qui a tué six pères de famille le 29 janvier 2017. L'hiver dernier, Bissonnette était en train d'écouter la télévision en prison quand a été diffusé un reportage sur un survivant de l'attentat. Il relatait la collecte de fonds pour acheter une maison adaptée à Aymen Derbali, qui est resté tétraplégique.

« L'ostie, je peux pas croire qu'après sept balles, il soit pas mort. Il va se faire donner une maison et moi, ma famille n'aura rien », aurait alors dit Bissonnette à un codétenu qui regardait la télé avec lui. Celui-ci a ensuite rapporté l'incident allégué aux autorités.

La déclaration du codétenu n'a pas été déposée en preuve par la Couronne. Le juge François Huot a affirmé qu'il n'allait pas en tenir compte, puisque la véracité de la déclaration n'avait pas été soumise au tribunal. Si ça avait été le cas, la crédibilité du codétenu aurait pu être remise en cause par la défense.

Mais cette révélation faite par le procureur de la Couronne François Godin au moment de contre-interroger la psychiatre Allard a semé l'émoi dans la salle d'audience. Comme chaque jour, plusieurs survivants et des familles des victimes étaient présents.

Même le juge Huot est sorti de sa réserve pour poser une longue question à la psychiatre, dans laquelle il a dit douter de l'empathie réelle de Bissonnette pour ses victimes.

« J'ai entendu des témoignages à glacer le sang ici », a commencé le juge Huot, en référence à la succession de survivants qui ont témoigné la semaine dernière. Plusieurs enfants des victimes ont pris la barre, dont la fille de 14 ans d'Azzedine Soufiane, mort en héros en tentant de désarmer le tueur.

« En écoutant ces témoignages, Aymen Derbali étant un exemple parmi d'autres, selon mon interprétation, M. Bissonnette demeurait d'une impassibilité pratiquement totale, a poursuivi le juge. Alors qu'à peu près tout le monde dans la salle d'audience était fortement ébranlé par ce qu'il entendait. »

« Mais lorsqu'à un certain moment, il a été question des membres de la famille d'Alexandre Bissonnette, les écluses se sont ouvertes. J'ai de la difficulté un peu à voir une progression de cette empathie », a dit le juge à Marie-Frédérique Allard, qui avait expliqué au tribunal juste avant avoir vu des changements positifs chez Bissonnette.

« Je ne vous dis pas qu'il a fait des progrès énormes, mais il y a de la place pour des progrès », a répondu l'experte.

Réhabilitable ou pas ?

La Dre Allard estime que Bissonnette pourrait changer au cours des 25 ans d'emprisonnement qui l'attendent au minimum. « La personnalité, c'est malléable », a-t-elle dit, ajoutant que des professionnels aguerris en prison pourront le soigner. « Il faut avoir confiance en notre système correctionnel. »

Mais la Couronne croit au contraire que Bissonnette sera difficile à réhabiliter. François Godin a rappelé hier que le jeune homme avait gardé pour lui ses pensées suicidaires et homicidaires, et avait de la difficulté à chercher de l'aide.

Il est aussi un manipulateur qui « s'adapte à son interlocuteur », a lancé François Godin à la psychiatre. « Ça fluctue en fonction de la personne à qui il parle, quand il vous parle, il dit ce que vous voulez entendre et en prison à un codétenu, il dit ce que lui veut entendre. »

Les trois experts sont venus clore la preuve de la défense dans le cadre des observations sur la peine. Les plaidoiries auront lieu en juin, après le débat sur la constitutionnalité du cumul des peines.

Le juge Huot aura une tâche difficile. Les trois expertises de la défense ont conclu que Bissonnette avait bel et bien un potentiel réhabilitable, mais que c'était loin d'être certain qu'il sera réhabilité un jour.

« Qu'il récidive, est-ce que c'est possible ? C'est possible. Est-ce que c'est probable ? C'est moins probable que si c'était un psychopathe », avait noté mardi le psychiatre Sylvain Faucher, qui a passé sept heures avec Bissonnette.

« Ce qui est sûr, c'est que plus un individu a fait un type d'acte, plus il risque de refaire le même acte. Un homme qui a commis 51 vols, il y a plus de probabilités qu'il commette un autre vol qu'une voie de fait, a-t-il ajouté. Alors oui, si monsieur refait un délit, il y a plus de risques que ce soit un crime grave. »

PHOTO Francis Vachon, archives PC

Aymen Derbali