«Ton père était un héros», a dit le juge François Huot à la jeune fille d'Azzedine Soufiane, mort en tentant de désarmer le tireur de la mosquée de Québec. Elle venait de lui raconter comment elle est fière de son père, un homme qui «était tout pour elle».

L'adolescente de 14 ans a bouleversé l'audience de la salle de cour avec son témoignage crève-coeur, jeudi après-midi.

En sanglotant, la jeune fille a parlé en son nom et en celui de sa famille, expliquant au juge Huot, de la Cour supérieure, comment la mort de son père sous les balles d'Alexandre Bissonnette, le 29 janvier 2017, a laissé un immense vide dans leur vie.

«Mon père me manque vraiment. C'était tout pour moi. C'était mon exemple, mon conseiller.»

Sa mère, la veuve d'Azzedine Soufiane, ainsi que d'autres femmes de la communauté, ont pleuré tout au long de sa déclaration.

Après le 29 janvier 2017, les jours passaient et l'adolescente a dit être dans un grand brouillard. Elle se disait que son père était encore quelque part.

Mais «j'ai vu le cercueil, et j'ai vraiment vu que mon père était mort», a-t-elle dit, la voix se cassant et trébuchant sur les mots.

La jeune fille, qu'on ne peut nommer en raison d'une ordonnance de non-publication, a témoigné au cours de cette étape qui vise à déterminer la durée de la peine de prison qui sera infligée au tireur. Elle a parlé des dures conséquences de la tuerie qui a fait six morts, dont son père.

C'est lui qui a chargé Alexandre Bissonnette ce soir-là, pour tenter de l'arrêter et ainsi l'empêcher de faire d'autres victimes. Plusieurs l'ont qualifié de héros.

«Je suis fière de mon père, de ses actes.»

Il voulait donner au suivant: «C'était le meilleur père, le meilleur homme». Il voulait aider les autres, les Québécois non musulmans comme les Québécois musulmans.

Pendant qu'elle parlait, Bissonnette s'est affaissé sur le banc des accusés. Contrairement à l'air figé qu'il arbore habituellement, on voyait ses épaules trembler, et il tenait son visage dans ses mains.

«Pourquoi? Pourquoi cet homme s'est attaqué à des gens innocents?» se demande la fille d'Azzedine Soufiane.

La tragédie l'a laissée avec beaucoup trop de questions, auxquelles seul son père saurait répondre, a-t-elle doucement confié.

Le juge Huot a tenu à s'adresser à elle.

«Tu vas m'écouter très attentivement», a-t-il commencé.

Soulignant ne pas avoir eu le privilège de connaître son père, le magistrat a déclaré que celui-ci, par ses gestes, a prouvé être un homme exceptionnel.

«Il appartenait à la race des géants. Ton père était un héros», a-t-il doucement dit à l'adolescente.

«On voit en toi, et tu viens d'en faire la démonstration, un peu de sa force. Je suis convaincu que de là-haut, il continue de veiller sur toi, ta soeur, ton frère, ta maman, comme il l'a fait si courageusement avec ses frères. Va en paix. Sois heureuse.»

Sa veuve a été incapable de s'adresser au tribunal, se disant submergée par les émotions. Elle a laissé le soin au procureur de la Couronne, Thomas Jacques - comme d'autres survivants et proches des victimes - de lire une lettre qu'elle avait rédigée.

«Ce jour-là, moi aussi je suis morte», a notamment écrit la femme, disant ne tenir le coup que pour ses trois enfants.

Un acte terroriste

Plus tôt en journée, un homme a fait face à Alexandre Bissonnette.

Boufeldja Benabdallah, le cofondateur du Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), s'est adressé directement à lui lors de son témoignage.

«Vous avez tué six de mes frères», lui a-t-il lancé sans détour.

«Mais vous avez aussi causé une douleur à toute la société québécoise qui ne pouvait pas croire qu'une telle attaque se soit produite chez eux.

«Vous avez bousculé cette société, mais elle est en train de se lever à nouveau, grande et magnifique», a-t-il soutenu devant le jeune homme de 28 ans, assis dans la boîte des accusés, juste derrière lui.

Le souvenir de la tuerie, lui, ne disparaîtra pas.

Car même si les tapis de la mosquée ont été lavés du sang répandu, et que les murs ont été replâtrés pour cacher les trous des balles, «il y aura toujours le souvenir des corps allongés inertes ou se tordant de douleur et qui nous rappellera la tragédie dont vous êtes l'artisan», a poursuivi l'homme, la voix entrecoupée de pleurs.

Quant à Mohamed Labidi, qui était le président du CCIQ au moment de la tragédie, il est venu dire au juge que tous les musulmans du Québec vivent avec une peur et un grand sentiment d'insécurité depuis le 29 janvier 2017.

«Nous l'avons vécu comme un acte terroriste.»

Des familles parlent de quitter le Québec, ou même le Canada. Certaines sont déjà parties, a-t-il déploré.

Bissonnette a réussi à intimider la communauté musulmane, a-t-il lancé.

Et les blessures n'ont pas été subies que par les gens présents à la mosquée le 29 janvier 2017. Plusieurs témoins ont d'ailleurs rapporté comment leurs enfants, même s'ils n'y étaient pas, sont encore aujourd'hui réveillés la nuit par des cauchemars.

Un père a raconté comment sa fille ne veut plus qu'il aille à la mosquée.

«N'y va pas papa, lui a-t-elle dit un jour. Il se peut qu'un autre Bissonnette revienne et te fasse du mal. N'y va pas. On a encore besoin de toi», a relaté Ahmed Cheddadi.

La mosquée a dû être sécurisée, car les gens avaient peur. Les portes ne sont plus ouvertes comme avant. Deux gardiens de sécurité ont dû être engagés pendant la période du ramadan «afin d'apaiser la peur encore vive».

La Couronne a déclaré sa preuve close jeudi après-midi. Les audiences pour déterminer la peine d'Alexandre Bissonnette reprendront lundi, avec la preuve de la défense.

Photo Jacques Boissinot, archives PC

Le co-fondateur du Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), Boufeldja Benabdallah, s'est adressé directement à Alexandre Bissonnette lors de son témoignage, jeudi.