Si Alexandre Bissonnette devait voir sa peine allégée ou être libéré un jour, ce serait une seconde mort pour les victimes de l'attentat de la grande mosquée de Québec, a déclaré au juge Louiza Mohamed-Saïd, la veuve d'un homme qui y a été abattu.

Dans une salle de cour du palais de justice de Québec, mardi, la jeune femme a raconté avoir péniblement cherché les mots pour expliquer à ses trois petites filles « la mort de leur papa ». Ce père de famille est Abdelkrim Hassane, l'un des six hommes tués.

Saïd El-Amari, atteint de deux balles le 29 janvier 2017, s'est dit « effrayé » à l'idée qu'une telle personne, avec un esprit aussi « tordu », puisse se retrouver en liberté dans 25 ans.

Car c'est la durée de la peine de prison réclamée par la défense pour Alexandre Bissonnette. La Couronne n'a pas encore fait connaître sa position. Bissonnette est passible de 150 ans de pénitencier.

Les témoignages de mardi étaient justement présentés pour aider le juge François Huot, de la Cour supérieure, à déterminer quelle période de temps Bissonnette devra passer derrière les barreaux. Il a d'ailleurs demandé à chacun des témoins leurs commentaires sur la peine.

Louiza Mohamed-Saïd a raconté son cauchemar vécu le 29 janvier 2017, lorsqu'elle s'est rendue à l'hôpital et qu'elle a supplié un médecin de sauver son mari et de prendre l'un de ses reins à elle, si nécessaire. Mais qu'elle a plutôt entendu qu'il était « trop tard ».

Rentrée à la maison, elle ne savait pas quoi dire à ses trois filles. La plus jeune, qui avait à peine un an, n'aura pas de souvenir de son père, a-t-elle laissé tomber. « C'est tellement injuste. »

Il ne verra pas leurs graduations ni leurs mariages, a dit la femme, avec une douceur et une force marquées par la tristesse.

« Ce qui me terrifie le plus, et ce, jusqu'à la fin de mon existence, c'est qu'un jour viendrait où l'on annoncerait que celui qui a noirci nos joies (...) puisse voir sa peine allégée ou puisse être libéré et, de ce fait, blanchi de ses atrocités », a-t-elle dit.

La veuve a demandé au juge de donner une peine exemplaire pour que pareil drame ne se reproduise plus et pour condamner fermement toute forme de violence, de terrorisme et d'islamophobie.

Des témoins de l'attaque

Des hommes présents à la mosquée ce soir-là ont raconté mardi au juge ce qu'ils ont vu.

Le premier, Saïd Akjour, a dit que le tueur semblait calme, a agi de sang-froid « comme s'il jouait à un jeu vidéo ».

S'il a d'abord entendu des bruits qui ressemblaient à des coups de feu, il n'a pas compris tout de suite ce qui se passait.

Puis il a vu Alexandre Bissonnette, tout habillé de noir, qui a commencé à tirer dans la salle de prière. Il a reçu une balle dans l'épaule.

« J'ai vu qu'il se passait un massacre devant mes yeux », a-t-il dit.

Caché, il se risque à regarder quand les balles cessent de fuser, le temps que le tireur recharge son arme.

« C'est là que j'ai vu la bravoure d'Azzedine Soufiane. » L'homme faisait des gestes pour dire aux autres de venir l'aider à maîtriser le tireur. M. Akjour a fait un pas vers l'avant, puis les balles ont recommencé et il est rentré dans sa cachette. Azzedine Soufiane l'a finalement chargé seul, et il y a perdu sa vie.

M. Akjour s'est adressé au procureur de la Couronne: « Vous avez dit que ça a duré deux minutes? Pour moi, ça a duré deux heures. »

Une éternité, a dit de son côté Saïd El-Amari, un autre survivant.

L'homme originaire du Maroc était allé prier ce soir-là, comme d'habitude.

Il a décrit la panique qui a déferlé dans la salle de prière, quand le tireur a fait irruption.

Un homme a attrapé au vol une fillette et l'a cachée derrière une colonne. Le père de l'enfant avait déjà été atteint par le tireur et gisait au sol.

Saïd El-Amari a tenté de se cacher dans le Mihrab, une petite niche dans un mur de la salle, mais elle était déjà pleine de gens.

Il a vu Azzedine Soufiane tomber sous les balles, raconte-t-il en pleurant.

On aurait dû aller l'aider, a-t-il martelé. « Il y a toujours ce remords.... ça me ronge toujours. »

Dans la salle de cour, il a demandé pardon à la femme de M. Soufiane.

M. El-Amari a été touché par une balle à l'abdomen, qui a fait d'énormes dégâts à plusieurs organes. Plus tard, il saura que son genou a été atteint par une autre.

Au total, Bissonnette a tiré 48 balles ce soir-là.

Il a été accusé de tentative de meurtre sur les deux hommes.

Le juge Huot a tenté de rassurer M. El-Amari.

« Vous n'avez aucun remords à éprouver. Aucun regret. Je le comprends, mais il est injustifié », a dit le juge. Tout le monde aurait fait la même chose, cela s'appelle l'instinct de survie, a poursuivi le magistrat.

L'homme a quitté le lutrin des témoins en essuyant ses larmes.

Bissonnette a écouté sans broncher le témoignage des deux hommes, la mâchoire serrée, ne montrant aucune expression.

Son avocat n'a posé aucune question aux victimes.

Comme les autres, M. Akjour a aussi raconté les conséquences de l'attentat sur sa vie, d'une voix nerveuse.

Il a dû s'absenter du travail pendant huit mois. Encore aujourd'hui, il ne peut travailler à temps plein. Son sommeil est perturbé par des cauchemars, et il confie voir du danger partout: à l'épicerie, à la bibliothèque. Partout, insiste-t-il.

L'homme déplore l'impact que la tuerie a eu sur son fils de huit ans. Il cherche son père dans la maison pour voir s'il est toujours là, et le touche si ce dernier ferme les yeux, pour s'assurer qu'il soit toujours vivant.

« Ce qu'il a vécu, c'est grave. »

« Il y a une vie avant le 29 janvier 2017, et une vie après », résume-t-il.

Les observations sur la peine vont se poursuivre mercredi.