Pour la première - et la seule - fois, des journalistes et des membres du public ont pu visionner hier les images de la tuerie à la Grande Mosquée de Québec, dont la diffusion a été interdite hier par le juge François Huot. Entre l'acharnement du tireur et la panique des fidèles, ce qui marque, c'est un acte d'une grande bravoure. Une séquence d'une seconde où un homme tente d'arrêter le tireur. Et y parvient presque.

La salle d'audience du palais de justice de Québec était silencieuse. Les femmes et les hommes qui pleuraient dans le public le faisaient en silence. Devant eux, les images de la tuerie à la Grande Mosquée de Québec défilaient.

Les neuf vidéos captées par des caméras de surveillance ont été diffusées hier dans le cadre des plaidoiries sur la peine à imposer. Le juge François Huot, de la Cour supérieure, a décidé que les médias ne pourraient pas les reprendre. Les images ne seront vraisemblablement jamais plus montrées.

Que voit-on sur ces enregistrements ? Un tireur, Alexandre Bissonnette, froid et méthodique. Il agit seul, recharge son pistolet quatre fois et tire 48 balles en l'espace de cent secondes. On voit 44 fidèles pris de panique, enfermés dans la mosquée, sonnés par la violence inouïe du moment.

Mais on voit aussi au moins un acte de bravoure. Le geste d'Azzedine Soufiane, un épicier de 57 ans, avait déjà été raconté par certains témoins. Les images l'attestent : l'homme est mort en héros.

« Ce qu'a fait Azzedine Soufiane est héroïque. Il a littéralement donné sa vie pour les autres. » - Mohamed Labidi, ancien président du Centre culturel islamique de Québec, à la sortie de la salle d'audience

Les images montrent qu'après avoir abattu deux hommes devant la mosquée - Ibrahima Barry et Mamadou Tanou Barry -, Bissonnette pénètre à l'intérieur. Il est très exactement 19 h 54 min 46 s.

Rapidement, il commence à décharger son pistolet Glock 9 mm sur les fidèles affolés dans la salle de prière. La plupart se cachent dans le mihrab, petite niche où ils s'entassent. De sa position, le tueur est protégé par un cadre de porte. Il décide de recharger son arme pour une deuxième fois.

C'est à ce moment que M. Soufiane choisit de se ruer sur le tireur. Il tente de convaincre d'autres fidèles de venir avec lui. Dans le feu de l'action, le père de trois enfants décide finalement de charger seul. Sur les images, on le voit parfaitement sauter sur Bissonnette pour l'empoigner. L'épicier, qui est beaucoup plus costaud que le tireur, passe à un cheveu de l'attraper par le collet. Mais Bissonnette se dégage.

« Faisant preuve d'un courage indescriptible, il a choisi lui-même de charger Alexandre Bissonnette, a expliqué devant la cour le procureur de la Couronne, Me Thomas Jacques. Celui-ci arrivera à se dégager avant d'abattre froidement Azzedine Soufiane. »

Bissonnette tire ensuite plusieurs balles sur Soufiane, l'une des six victimes mortes ce soir-là.

Le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ) aimerait que M. Soufiane soit décoré pour son geste. La médaille pour bravoure de la gouverneure générale peut être décernée de manière posthume. Mohamed Labidi estime qu'au moins deux survivants pourraient aussi être décorés, soit Aymen Derbali, que l'attentat a laissé paraplégique, et Saïd Akjour, qui a couru après Bissonnette quand celui-ci a pris la fuite.

« Il y a des gens qui étaient complètement démunis devant des armes automatiques et qui ont essayé de faire de leur mieux », a dit M. Labidi.

PAS DE DEUXIÈME TIREUR

Les images captées le soir de l'attentat permettent aussi de détruire la théorie d'un deuxième tireur, qui avait été nourrie par l'arrestation d'un second suspect le soir même de l'attentat.

Mohamed Belkhadir, qui avait assisté à la prière de 19 h 30 avec les autres, était en train de déneiger les marches qui mènent à la mosquée au moment de l'attentat. Près de deux minutes après le départ de Bissonnette, on voit sur les images M. Belkhadir revenir vers la mosquée. Il hésite à la vue des deux victimes affalées devant la porte d'entrée.

Il se dirige vers les corps, décide d'entrer dans la mosquée. Il constate qu'un drame s'est produit et ressort. Dans un geste de compassion, il retire son manteau et le dépose sur le corps de Mamadou Tanou Barry.

« Il a posé le geste héroïque de se dévêtir lui-même dans la panique du moment afin de garder la victime au chaud », a expliqué Me Thomas Jacques, qui a commenté devant la Cour supérieure l'ensemble des neuf vidéos.

Les images montrent que M. Belkhadir se relève ensuite. À peu près au même moment, il aperçoit un homme courant vers lui juste devant la mosquée. Il fait nuit, M. Belkhadir est ébloui par les phares d'une voiture qui vient d'arriver devant le lieu de culte. Pris de peur, il s'enfuit.

L'homme qui court vers lui est policier. C'est pourquoi il sera pris en chasse, arrêté et interrogé par la police de Québec, avant d'être relâché le lendemain.

« Il n'a aucun lien avec Alexandre Bissonnette. Il a été pris de panique en voyant une arme à feu pointée dans sa direction », a noté le procureur de la Couronne.

« Alexandre Bissonnette a agi seul. L'ensemble de l'enquête le démontre. Le deuxième suspect n'a absolument rien à voir avec les gestes d'Alexandre Bissonnette », a ajouté l'avocat.

« LA PRÉMÉDITATION EST LÀ À 100 % »

Les vidéos étaient la première preuve déposée par la Couronne lors des plaidoiries sur la peine, qui vont se poursuivre pendant une dizaine de jours. Alexandre Bissonnette est passible de 150 ans de prison sans possibilité de libération. Il a plaidé coupable à six chefs de meurtre au premier degré et six chefs de tentative de meurtre.

« La préméditation est là à 100 % », a réagi Mohamed Labidi en sortant de la salle d'audience. Il venait de voir les vidéos pour la première fois.

« Il n'a aucune hésitation face à des gens qui crient, face à des gens qui tombent, face à du sang qui coule... Il n'y a aucune hésitation. »

PC

Azzedine Soufiane

Cent secondes d'horreur

C'est le temps qu'il a fallu à Alexandre Bissonnette pour tirer 48 balles et faire 6 morts et 17 orphelins, le 29 janvier 2017. Voici ce qui s'est passé, minute par minute.

19 h 54 min 00 s

Une caméra de surveillance pointée vers le stationnement de la Grande Mosquée de Québec capte une première image d'Alexandre Bissonnette. Le tireur marche lentement.

19 h 54 min 12 s

L'homme porte à l'épaule un étui de guitare souple. Il cesse de marcher, ouvre l'étui et en sort un fusil semi-automatique de calibre 223. Il abandonne l'étui par terre et reprend sa marche.

19 h 54 min 20 s

Bissonnette arrive devant l'entrée de la mosquée. Deux hommes en sortent, Ibrahima Barry et Mamadou Tanou Barry. Bissonnette pointe sur eux son arme semi-automatique, qui s'enraye immédiatement. Il sort un pistolet de sa poche de manteau et tire sur les deux hommes.

19 h 54 min 46 s

Le tueur tourne les talons, laisse les deux corps par terre et entre dans la mosquée. À l'intérieur, c'est la panique. Les fidèles courent. Bissonnette commence à tirer dès qu'il met un pied à l'intérieur.

19 h 54 min 57 s

Selon les images, Bissonnette recharge son pistolet Glock 9 mm une première fois. Chaque chargeur contient 10 balles. Il rechargera son arme quatre fois en tout et tirera 48 balles.

19 h 55 min 04 s

Il entre dans la salle de prière et fait feu vers les fidèles qui se cachent dans le mihrab, une petite niche dans le mur.

19 h 55 min 10 s

Le tireur recharge une deuxième fois.

19 h 55 min 19 s

Azzedine Soufiane, un épicier de 57 ans, bondit sur Bissonnette. Celui-ci se dégage, puis atteint Soufiane de plusieurs balles.

19 h 55 min 30 s

Bissonnette fait un pas de recul, recharge son arme pour une troisième fois et s'acharne sur Soufiane, qui est déjà blessé gravement.

19 h 55 min 50 s

À ce moment, le tueur semble recharger et tirer plusieurs balles dans la salle de prière.

19 h 56 min 00 s

Alexandre Bissonnette s'enfuit. Le carnage aura duré tout au plus 100 secondes, entre le moment où il a croisé ses premières victimes à l'entrée de la mosquée jusqu'à sa fuite.