À 20h, le soir du 29 janvier 2017, le premier ministre Philippe Couillard était chez lui, à Saint-Félicien. En raccrochant le téléphone, il dit avoir tout de suite saisi l'ampleur de ce qui venait de se passer.

Un tireur avait ouvert le feu au Centre culturel islamique de Québec, alors que les fidèles faisaient leurs prières. En l'espace de quelques minutes, six hommes avaient perdu la vie et cinq autres étaient grièvement blessés.

« J'ai tout de suite supposé qu'il y avait un élément là-dedans de crime haineux ou d'acte terroriste compte tenu du contexte, ça semblait être uniquement dirigé vers des musulmans », a déclaré le premier ministre en entrevue, jeudi, dans un hôtel de Shanghai, où il dirige une mission commerciale et culturelle.

« J'ai perçu que ce serait un évènement majeur non seulement pour le Québec, le Canada, mais même avec des ramifications qui déborderaient de nos frontières. Il fallait absolument rassurer la population. »

Profondément ému, le chef du gouvernement québécois a filé vers Québec où il a donné une première conférence de presse en pleine nuit. « Humainement, on est très affecté », s'est-il confié, se rappelant les évènements.

« Il y avait des gens qui cherchaient leurs proches, n'ayant pas eu de nouvelles. (...) Ça a été un choc pour tout le monde. »

Le premier ministre se rappelle d'avoir pesé ses mots : « Il me paraissait excessivement important de lancer un message à tous les Québécois, d'abord aux Québécois de confession musulmane, qui certainement sont encore aujourd'hui traumatisés par ces évènements, et les mots que j'ai choisis leur indiquaient qu'ils étaient ici chez eux, et je pense que c'est ce qu'il faut redire aujourd'hui. »

Important de le redire, car, selon M. Couillard, « les belles intentions » peuvent parfois être vite oubliées.

Quelques mois seulement après la tuerie à la mosquée de Québec, une vague de crime haineux déferlait sur la province, à la suite de l'arrivée massive de migrants haïtiens venant des États-Unis et ayant traversé la frontière de manière irrégulière.

Et le débat entourant la loi 62 sur la neutralité religieuse s'enflammait de nouveau. Sur cette question précise, M. Couillard n'a jamais douté qu'il fallait aller de l'avant. « C'est un engagement qu'on avait pris et il visait à porter de l'ordre dans un débat qui est très difficile », a-t-il soutenu. La loi 62 stipule notamment que tous les services publics au Québec doivent être donnés et reçus à visage découvert, sauf exception.

Il dit en général faire confiance aux Québécois pour la suite des choses. Des membres de la communauté musulmane de Québec travaillent auprès des itinérants, par exemple. « C'est ça, une société unie », illustre-t-il.

Dans cette optique, pas besoin d'une journée nationale de lutte contre l'islamophobie, telle que proposée par le Conseil national des musulmans canadiens.

« Je pense que c'est préférable de se mobiliser dans une journée ou une semaine d'action, comme ça arrive, autour de la question du racisme et de la discrimination de toute sorte, plutôt que d'en singulariser une, parce qu'alors ne devrait-on pas également faire une journée sur l'antisémitisme, sur le racisme dirigé vers les personnes de couleur? Il n'y a pas de bon racisme ou de moins bon racisme », a-t-il tranché, rejoignant ainsi les positions de ses principaux adversaires politiques.

En cette matière, le Québec n'est pas pire que les autres et les Québécois, pas plus racistes, quoique peut-être plus « passionnés » sur la question de l'identité, estime-t-il. Ce débat identitaire peut contribuer à exacerber les tensions, selon lui.

« Toutes ces questions-là ont un niveau d'intensité au Québec peut-être plus élevé, mais je répète, le Québec n'est pas une société plus raciste ou plus exclusive que d'autres, et on fait face aux mêmes défis que toutes les sociétés qui ont à gérer la diversité », a affirmé le chef du gouvernement.

Réaction de l'opposition

L'opposition officielle n'a pas tardé à réagir aux propos du premier ministre. La porte-parole péquiste en matière de laïcité, Agnès Maltais, a appelé M. Couillard à la modération dans ses propos.

« Je vais peser un peu plus mes mots que M. Couillard », a-t-elle dit jeudi matin en marge du caucus des élus péquistes à Shawinigan.

« On est au moment de la commémoration de l'attentat qui a eu lieu à la mosquée. Je pense que c'est le temps de rassembler les Québécois, ce n'est pas le temps d'exacerber les divisions. J'aimerais que le premier ministre se fasse un rassembleur et nous parle de l'avenir. »

M. Couillard rentre au pays dimanche. Il participera au grand rassemblement citoyen qui aura lieu le 29 janvier en soirée.

Les activités de commémoration des attentats se dérouleront sur quatre jours. Outre le grand rassemblement lundi, deux cérémonies religieuses seront proposées : une prière musulmane à la grande mosquée de Québec, ainsi qu'une prière oecuménique le dimanche 28 janvier, au Pavillon de la jeunesse.