Alexandre Bissonnette, 27 ans, a été formellement accusé de six meurtres prémédités et de cinq tentatives de meurtre, lundi en fin d'après-midi, au palais de justice de Québec.

Vêtu d'une combinaison blanche ample, le jeune homme de Québec est apparu menotté, la mine abattue, les cheveux dépeignés, devant le juge Jean-Louis Lemay. Il a fixé le sol pendant la quasi-totalité de la séance, sauf pour jeter un regard nerveux vers son avocat, Me Jean Petit.

Il a comparu une deuxième fois quelques minutes plus tard pour que la couronne puisse s'objecter à sa remise en liberté. Cette fois, il est apparu un peu plus agité. Il a promené son regard vers son avocat à quelques reprises.

Il sera de retour en cour le 21 février pour connaître la preuve qui pèse contre lui.

Des 11 chefs d'accusation portés jusqu'ici, aucun n'est lié au terrorisme. Mais d'autres accusations pourraient s'ajouter à mesure que l'enquête progresse, a précisé l'avocat de la poursuite, Me Thomas Jacques.

«Les accusations portées sont conformes à la preuve recueillie, a expliqué Me Jacques. Mais vous comprendrez que les événements sont survenus de façon toute récente et que l'enquête se poursuit.»

Des dizaines de personnes ont fait la file pour entrer dans la salle où a été accusé le jeune homme.

Les constables spéciaux du palais de justice avaient déployé des mesures de sécurité exceptionnelles pour l'événement. Les journalistes et les citoyens étaient fouillés et devaient passer un détecteur de métal.

Alexandre Bissonnette a été arrêté dimanche soir après avoir contacté les policiers.

L'homme de 27 ans a lui-même appelé la police vers 20 h 10 avant de se rendre sur le pont de l'Île d'Orléans, après la fusillade au Centre culturel islamique de Québec. Il avait effectué une sortie de route. Il était armé, mais s'est rendu aux membres du Groupe d'intervention tactique dépêchés sur place. Bissonnette serait toujours étudiant en sciences politiques à l'Université Laval. Il aurait précédemment étudié en anthropologie. Une perquisition a été réalisée à son domicile dans la nuit de dimanche à lundi, selon Le Soleil

Un deuxième suspect avait été arrêté, dimanche. Il s'agissait de Mohammed Belkhadir - et non Khadir, comme il a d'abord été rapporté. Celui-ci a toutefois été relâché ce matin. « Suite à l'enquête, l'autre individu est maintenant considéré comme témoin », a indiqué la Sûreté du Québec. Le jeune homme portait plutôt assistance à des victimes, selon des informations obtenues par La Presse.

Le passé du suspect

Alexandre Bissonnette a fréquenté l'école secondaire des Compagnons de Cartier et le cégep François-Xavier Garneau. Il mentionne sur son profil Facebook être un étudiant en anthropologie à l'Université Laval. 

Sur son profil Facebook, avant qu'il ne disparaisse du web, il mettait aussi des liens vers le site de la leader française du Front national, Marine Le Pen, ainsi que vers un site consacré au soldat Jonathan Couturier, de la base militaire de Valcartier, mort en 2009 en Afghanistan.

Alexandre Bissonnette est connu dans le milieu communautaire de Québec pour ses critiques en ligne. En voyant sa photo circuler dans les médias comme le suspect dans la tuerie de dimanche soir, François Deschamps, qui gère la page du groupe Bienvenue aux réfugiés, dit avoir reconnu immédiatement l'un de ses « trolls », soit une personne faisant du harcèlement en ligne. « Ça faisait un an qu'on le voyait aller », a-t-il dit.

L'administrateur dit ne pas avoir en tête des attaques précises ciblant les musulmans, mais plutôt les étrangers en général. M. Deschamps indique que Bissonnette s'en prenait surtout aux groupes féministes, qu'il qualifiait de « féminazi ». À sa connaissance, le jeune homme n'était toutefois pas proche des groupes ouvertement racistes.

Des gens l'ayant côtoyé affirment qu'il aurait été victime d'intimidation à l'école. « Au secondaire, lui et son frère n'avaient pas vraiment d'amis. Alexandre, surtout, avait une personnalité antisociale, témoigne Stéphanie Guimond, qui a fait tout son cours secondaire avec le suspect. Comme il était toujours à part, il attirait les railleries. Il répondait avec des insultes, et les confrontations semblaient l'amuser. Il traitait les filles de putes, par exemple. » Les deux frères ne sont pas allés à leur bal de finissants, ajoute la jeune femme. Quand ils avaient 14 ou 15 ans, ils se vantaient de créer des virus informatiques pour saboter des réseaux d'entreprises.

« Quand on parlait de lui et de son frère jumeau, on les appelait ''le méchant'' et ''le gentil''. Son frère était beaucoup plus aimable », témoigne Marc-André Malenfant, qui a aussi connu Alexandre Bissonnette au secondaire. « Ce que je retiens surtout de lui, c'est son arrogance. » 

« C'était un gars tranquille, pas du tout violent. Je n'aurais jamais imaginé qu'il puisse faire quelque chose comme ça », a quant à lui commenté Marius Valentino, qui fréquentait à l'occasion Alexandre Bissonnette et son frère jumeau, depuis quelques années. « Je l'ai vu il y a deux semaines environ. On a pris une bière ensemble. Il aimait parler de politique, mais n'a jamais eu de propos déplacés. Il n'a jamais manifesté d'admiration pour des politiciens extrémistes. »

Des enquêteurs de police ont passé l'avant-midi au domicile des parents d'Alexandre Bissonnette à Cap-Rouge, sous l'oeil incrédule des voisins dans ce quartier cossu et tranquille.

Ici, les frères Bissonnette, des jumeaux identiques, sont des figures connues sur la rue du Tracel.

« Je les vois presque tous les jours », raconte Alain Thivierge, qui habite juste en face.

Il parle de jeunes gens tranquilles et calmes. Leurs parents sont très sympathiques, dit-il. Le papa, Raymond, serait à la retraite, mais pas la maman.

Jamais de grabuge, jamais de foule, ou de gens louches devant la maison blanche et grise de la famille Bissonnette.

Selon plusieurs voisins, les jumeaux ont été dans les cadets. Jamais Alexandre, le suspect, n'a tenu de propos haineux ou radicaux.

« Leurs parents s'en sont tellement occupés, raconte la voisine immédiate. Nous sommes dévastés par cette nouvelle. »

Sécurité renforcée à l'Université Laval

Ce matin, l'Université Laval se disait être incapable de confirmer que les deux personnes initialement interpellées fréquentaient son établissement, lors d'un point de presse à 8 h 30. La sécurité a toutefois été renforcée sur le campus, notamment aux résidences pour les étudiants, ainsi qu'autour des deux lieux de culte de l'institution.

La Gendarmerie royale du Canada a indiqué que l'enquête se poursuit sur les motifs. La GRC a refusé de confirmer le type d'arme utilisé pour la tuerie.

Les six personnes décédées sont âgées de 39 à 60 ans, a indiqué la Sûreté du Québec.

Gestion de crise dans les écoles près de la mosquée 

La commission scolaire des Découvreurs a mis au point un protocole pour aider ses élèves touchés. Une dizaine d'élèves a perdu un membre de la famille proche, dont cinq enfants qui ont perdu leur père.

Des psychologues et des psychoéducateurs se sont rendu dans les établissements touchés à l'arrivée des élèves lundi matin, autant des écoles primaires que secondaires, explique Mario Plante, directeur adjoint des services éducatifs pour la commission scolaire de Québec. Certains élèves ont appris la mort d'un proche alors qu'ils étaient déjà en classe. D'autres étudiants étaient sur place à la mosquée dimanche, au deuxième étage, au moment du drame. « Nous faisons vraiment des interventions au cas par cas et nous nous adaptons aux différentes situations », a précisé Mario Plante qui a travaillé avec les directions des différents établissements, dès hier soir, appréhendant la situation. « Nous avons accueilli beaucoup de réfugiés depuis deux ans, précise M. Plante. Je savais qu'on serait touché. » Un service d'aide aux employés est aussi en place pour les membres du personnel.

- Avec Guillaume Piedboeuf et Patricia Cloutier, Le Soleil