Michael Zehaf Bibeau s'était rendu à Ottawa pour obtenir un passeport afin de s'envoler vers la Syrie, selon la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le corps policier a admis qu'il ne connaissait pas au jeune homme de 32 ans de liens avec des gens mêlés à des activités terroristes, mais en avoir découvert depuis l'attentat.

La GRC a présenté hier le premier bilan sur son enquête menée à la suite de la fusillade survenue mercredi sur la colline du Parlement dans laquelle un militaire est mort. Après avoir soupçonné que jusqu'à cinq tireurs pouvaient avoir pris d'assaut le secteur, le corps policier se dit maintenant convaincu que Zehaf Bibeau a agi seul.

«Au départ, nous craignions qu'il puisse y avoir plus d'un tireur. Nous croyons maintenant qu'il a agi seul», a dit Bob Paulson, commissaire de la GRC.

Cette méprise serait due aux nombreux appels reçus au 911 dans la foulée de la fusillade. Certaines informations contradictoires laissant penser que les coups de feu au Monument commémoratif de guerre, le vol de la limousine d'un ministre et l'attaque du parlement, tous survenus à quelques minutes d'intervalle à peine, pouvaient avoir été perpétrés par des individus différents. Même si ce n'était pas le cas, les policiers ont redoublé de prudence et appelé en renfort pas moins de 400 membres des forces de l'ordre pour imposer un confinement sur la colline du Parlement jusqu'en soirée.

Les motifs du geste du tireur, aux prises avec des problèmes de santé mentale, restent nébuleux. Selon des témoins du meurtre du caporal Nathan Cirillo, tué de deux coups de feu dans le dos alors qu'il montait la garde au cénotaphe, le meurtrier aurait crié quelque chose en anglais au moment de décharger son arme.

«Ses motifs pour l'attaque ne sont pas clairs, mais son passeport semble être au coeur de ses motifs, a indiqué le commissaire de la GRC, Bob Paulson. On ne lui a pas refusé un passeport, on ne lui a pas retiré: il l'attendait. Il y avait enquête pour déterminer s'il devait avoir un passeport», a précisé le commissaire Paulson.

Selon les enquêteurs, M. Zehaf Bibeau est d'ailleurs arrivé à Ottawa le 2 octobre «pour régler un problème de passeport». Il logeait dans un centre d'hébergement pour sans-abri à proximité de l'édifice du parlement. Ce Montréalais d'origine vivait à Calgary depuis quelque temps après un séjour de quelques années à Vancouver.

Dans sa demande de passeport, Zehaf Bibeau aurait laissé entendre qu'il voulait se rendre en Libye, d'où son père est originaire. Mais interrogée mercredi par les policiers, sa mère a toutefois révélé que sa véritable destination était la Syrie.

Lien avec le terrorisme?

«Selon certains, c'était quelqu'un de désillusionné qui entretenait probablement des croyances extrémistes», a indiqué le commissaire Bob Paulson. Mais au-delà de ses condamnations pour violences et possession de drogue, la GRC a reconnu qu'elle n'avait pas d'information liant Zehaf Bibeau à un groupe extrémiste au moment où il a fait sa demande de passeport.

Le corps policier dit maintenant avoir des «informations non corroborées» tendant à montrer qu'il avait bien des liens avec un individu suspect. En fait, la GRC précise avoir trouvé l'adresse courriel du jeune homme sur le disque dur d'une personne accusée d'un acte de terrorisme, sans divulguer son identité. Les enquêteurs tentent maintenant de comprendre la nature de ces liens.

La GRC a profité de son bilan pour rectifier certaines informations diffusées par des médias américains. M. Paulson a ainsi nié que le tireur se trouvait sur la liste des 93 voyageurs canadiens jugés à risque actuellement sous surveillance. Le corps policier dit aussi ne pouvoir établir aucun lien entre Michael Zehaf Bibeau et Martin Couture-Rouleau, qui a assassiné un soldat à Saint-Jean-sur-Richelieu, deux jours plus tôt.

Interdit d'armes à feu

Le corps policier tente maintenant de déterminer comment le jeune homme a réussi à obtenir une arme à feu, alors qu'il faisait l'objet d'une interdiction d'en acquérir en raison de ses antécédents judiciaires. Bob Paulson a précisé que ce point était un élément important à élucider de l'enquête en cours.

De sources policières, La Presse a appris que l'arme utilisée par Michael Zehaf Bibeau, un .30-30 Winchester à levier de sous-garde, ne lui appartenait pas. Il ne l'a pas volée non plus: il l'a prise chez quelqu'un qu'il connaissait, a-t-on appris. On ne sait pas pourquoi on lui aurait prêté une arme alors que le tribunal lui avait interdit d'en détenir une.

- Avec Denis Lessard

Photo AFP

La GRC a présenté une vidéo montrant comment le tireur est entré sur la colline parlementaire.

Un aimant pour les djihadistes sunnites

Depuis le début de la guerre civile, en 2011, la Syrie est progressivement devenue la principale destination des djihadistes sunnites. On estime qu'environ 15 000 djihadistes gravitent autour de la Syrie. De ce nombre, 3000 proviennent des pays occidentaux. «La plupart d'entre eux ne pensent pas qu'ils sont des terroristes. Ils se voient comme des combattants qui s'opposent à Bachar al-Assad, un tyran alaouite [une secte chiite]», note Sami Aoun, expert du Moyen-Orient et professeur à l'Université de Sherbrooke. Il rappelle que les sunnites, majoritaires au Moyen-Orient, ont vu leur pouvoir régional s'amenuiser depuis la chute de Saddam Hussein au profit de l'Iran chiite. «En 10 ans, les sunnites ont aussi perdu 600 000 des leurs.» Une dizaine de groupes djihadistes combattent en Syrie, dont le groupe État islamique et Al-Nousra, un cousin d'Al-Qaïda.

- Laura-Julie Perreault